Arabie saoudite

Une censure implacable continue de s’abattre sur le Net, seul espace où, ces dernières années, s’est développée une certaine forme de liberté d’expression. Toujours mobilisés, des cyberdissidents, surpris par les autorités en train d’exercer leur droit à la critique, paient le prix fort.

Filtrage sévère et délation
Un filtrage très strict cible tout contenu considéré par les autorités comme étant à caractère pornographique ou "moralement répréhensible". Des sites qui abordent la question de la religion, les droits de l’homme ou les prises de position de l’opposition sont également rendus inaccessibles. Loin de s’en cacher, les autorités assument leur choix de censure et revendiquent le blocage d’environ 400 000 sites. Parmi les sites d’informations interdits : le site de l’Arab Network for Human Rights Information (ANHRI), les sites gulfissues.net, saudiinstitute.org, arabianews.org, Al Jazeera ou encore saudiaffairs.net, etc Les dernières victimes en date des censeurs : les pages concernant l’Arabie saoudite de la version arabe du site WikiLeaks et le site Elaph, un magazine politique d’informations en ligne. Ce dernier avait récemment publié un article intitulé « Les pays du Golfe après la tempête WikiLeaks : Riyadh s’exprime alors que d’autres restent silencieux ». L’article évoquait l’émoi de la sphère politique après la publication de câbles révélant que les diplomates saoudiens avaient incité les Etats-Unis à attaquer les réacteurs nucléaires iraniens. D’autres sites ont été bloqués en réaction aux révolutions arabes. Dawlaty.info et saudireform.com, qui appellent au changement politique dans le pays, ont été rendus inaccessibles début 2011. Les sites participatifs sont tout particulièrement visés par les censeurs. Le site newarabia.org, un forum de discussions politiques, est inaccessible dans le pays. La plateforme blogger.com, initialement bloquée dans son intégralité, fait désormais l’objet d’une censure ciblée de son contenu, preuve que les autorités ne peuvent pas non plus empêcher l’existence des blogueurs. Les autorités s’en sont pris pour la première fois aux utilisateurs saoudiens du site de micro-blogging Twitter en août 2009. Les pages Twitter de deux militants des droits de l’homme, Khaled Al-Nasser et Walid Abdel-Kheir, ont alors été bloquées. Des pages Facebook sur les droits de l'homme ont aussi été rendues inaccessibles. L’Unité des services d’Internet, rattachée au gouvernement, va jusqu’à expliquer le principe du filtrage sur son site. Elle met à la disposition des citoyens un formulaire pour demander le blocage ou le déblocage d’un site. Ce procédé jouierait d'un certain succès, si l’on en croit les autorités. D’après l’Agence des Télécommunications et des Technologies de l’Information, ces demandes de blocage visent entre 700 et 1000 sites par jour, soit une moyenne de 300 000 sites « dénoncés » par des citoyens par an. Un représentant de la même agence estime que 93% des sites filtrés sont à caractère pornographique. Le reste concernerait des sites qui diffusent de l’information « contraire aux valeurs du royaume ». L’agence reconnaît pourtant que 55 % des utilisateurs sont préoccupés par ces blocages de sites et les trois quarts estiment que le filtrage actuel est exagéré. Blackberry sous pression
Les BlackBerry sont populaires dans le golfe Persique et en Arabie saoudite, où ils permettent de contourner la censure. Cependant, suite aux pressions exercées par les autorités, qui menaçaient de bloquer le service de messagerie instantanée des BlackBerry, l'entreprise RIM, fabricante de ces téléphones, aurait accepté, en août 2010, d'installer un serveur en Arabie saoudite. Le but ne serait pas de fournir aux autorités saoudiennes les clefs de chiffrement de son système, ce qui permettrait la mise en place d'une surveillance en temps réel, mais de leur donner accès, sur mandat judiciaire et a posteriori, à certains messages. Au vu de l'indépendance de la justice saoudienne, les utilisateurs du smartphone dans le pays ont du souci à se faire. Des cybercafés sous surveillance
Les cybercafés se sont vu imposer des restrictions draconiennes en avril 2009. Ils sont contraints d’installer des caméras cachées, de fournir une liste des clients et des sites consultés, de ne pas permettre l’utilisation de cartes prépayées ou de liaisons Internet par satellite non autorisées, de fermer à minuit et de refuser les mineurs. Leurs propriétaires encourent une peine de prison si leurs locaux sont utilisés pour diffuser des informations contraires aux « valeurs du Royaume » et ce, en vertu de la loi sur l’utilisation de la technologie de 2008. Cette loi prévoit également des peines de prison de dix ans pour les responsables de sites Internet qui soutiennent le terrorisme et de cinq ans pour ceux qui diffusent des informations à caractère pornographique ou violent les valeurs religieuses et sociales du pays. L'arsenal législatif liberticide se renforce
De nouvelles dispositions législatives concernant les publications sur Internet ont été rendues publiques par le ministre de la Culture et de l’Information, Abdul Aziz Khoja, le 1er janvier 2011. Elles visent à renforcer la censure sur le Net et décourager les internautes de créer leur site ou blog. Selon l’article 7 de ce texte, les médias en ligne, les sites Internet des médias dits “traditionnels”, ainsi que les plates-formes diffusant du matériel audio ou vidéo et proposant des publicités en ligne, devront, pour continuer à exercer leurs activités, se voir accorder par le ministère de l’Information et de la Culture une licence valable trois ans. Pour l’obtenir, le requérant devra être âgé de plus de 20 ans, détenir la nationalité saoudienne et être titulaire d’un diplôme équivalent au baccalauréat. Il sera dans l’obligation de fournir « des documents attestant de sa bonne conduite ». Ces médias devront également indiquer le nom de leur hébergeur, ce qui pourra donner au gouvernement la capacité de forcer celui-ci à supprimer le site ou son contenu. Les forums, les blogs ou les sites Internet personnels, les listes de diffusion, les archives électroniques ou les “chat” seront désormais enregistrés. Les blogueurs pourront, « s’ils le souhaitent », s’identifier. L’intention de porter un coup à leur anonymat est évidente. Le ministère devait initialement approuver le rédacteur en chef de tous les journaux électroniques. Cependant, suite à la véritable levée de boucliers engendrée par ce point, le ministre de l’Information a promis, le 6 janvier dernier, de renoncer à cette disposition. Une “simple déclaration” de l’identité de l’éditeur auprès dudit ministère suffirait. Selon l’article 17, toute violation de ces dispositions sera punie par des amendes et un blocage partiel ou complet, temporaire ou permanent, du site. Les amendes s’élèvent jusqu’à 100 000 rials saoudiens (20 000 euros), ce qui constitue une forme détournée de censure économique, dans la mesure où de nombreux sites ne peuvent s’acquitter d’une telle somme. Le ministère se réserve le droit d’élargir le champ d’application de ces mesures. Des cyberdissidents en prison
Les blogueurs qui osent aborder des sujets sensibles s’exposent aux représailles des censeurs. Deux d'entre eux ont été arrêtés en 2010. Le militant des droits de l’homme Sheikh Mekhlef bin Dahham al-Shammari, réformateur social, écrivain, connu pour sa défense des droits des femmes et ses tentatives de rapprochement entre chiites et sunnites, est en prison depuis le 15 juin 2010. Son état de santé serait préoccupant. Son dossier d’accusation est particulièrement fantaisiste. Il lui est reproché "d’énerver les autres". Son arrestation serait liée à ses critiques de responsables politiques et religieux, publiées notamment sur les sites d’informations saudiyoon.com et rasid.com. Mohamed Abdallah Al-Abdulkarim, professeur de droit et militant reconnu pour son combat pour les droits politiques et civiques, a, quant à lui, été arrêté le 5 décembre 2010 à Riyad. Après le départ pour les Etats-Unis du roi Abdallah bin Abdulaziz Al-Saoud, pour raisons médicales, Mohammed Al-Abdulkarim avait publié, le 23 novembre 2010, sur le site royaah.net, un article évoquant les conflits au sein de la famille royale, notamment les querelles sur la succession du roi Abdallah et leurs conséquences pour l’avenir politique de l’Arabie saoudite. Dans cette publication, il mentionnait non seulement l’état de santé du roi, mais également les conflits entre de potentiels successeurs du souverain, âgé de 86 ans. On est toujours sans nouvelles du blogueur syrien, Raafat Al-Ghanim, résidant en Arabie saoudite, arrêté en juillet 2009. Il n’hésitait pas à critiquer, sur des forums syriens et saoudiens, la situation sociale et politique dans les deux pays. Facebook outil de mobilisation et de socialisation ?
En novembre 2010, Facebook a été bloqué pendant quelques heures prétendument pour ne pas avoir respecté les valeurs morales du pays, suscitant de nombreuses réactions sur la Toile. S’agissait-il d’un incident isolé ou d’un test destiné à préparer une censure plus sévère encore ? Les autorités voient d’un mauvais œil les mobilisations en ligne, particulièrement depuis la Révolution tunisienne. Non seulement les internautes saoudiens résistent à la censure en apprenant à la contourner, mais ils sont aussi capables de mener des campagnes de mobilisation en ligne, notamment sur Facebook. En 2010, une femme a lancé un groupe Facebook pour protester contre l'interdiction faite aux femmes de travailler dans des boutiques de sous-vêtements. Elle a réussi à obtenir plus de 10 000 supporters. Le Net a fourni un espace d’expression inédit aux Saoudiennes. Elles représentent plus de la moitié des blogueurs et des internautes du pays. Elles y abordent des sujets qui sont tabous en public, tels que la santé. Le contrôle des nouvelles technologies en Arabie saoudite est donc aussi révélateur de la volonté d’assurer le maintien de l’ordre social. Les mobilisations en ligne se font aussi en faveur des militants des droits de l’homme. L’information sur l’interpellation de Mohammed Abdallah Al-Abdulkarim a été, dans un premier temps, diffusée grâce à sa page Facebook, avant d’être reprise par de nombreux sites Internet. De nombreuses organisations saoudiennes de défense des droits de l’homme l’ont publiquement dénoncé. Plusieurs pages Facebook, comme “We are all Mohammed Abdulkarim” et "Free Dr. Abdulkarim" , ainsi qu’un hashtag #FreeDrAbdulkarim sur Twitter ont été créés pour demander sa libération immédiate. Son cas a suscité des discussions passionnées entre internautes d'un côté et proches du régime de l'autre. Une dispute mémorable est d'ailleurs intervenue sur Twitter entre Abdulrahman Alenad, membre de l’Assemblée Consultative Saoudienne (Shura) et l’avocat du Dr Alabdulkarim, Waleed Abulkhair, le premier ordonnant au deuxième de se taire.
Publié le
Updated on 20.01.2016