Affaires montées de toutes pièces et campagne de harcèlement contre les médias indépendants

Une nouvelle affaire montée de toutes pièces

Le 6 avril prochain, le tribunal de Chebba (130 km au sud-est de Tunis) rendra son verdict à l’encontre de Nizar Ben Hassine, correspondant de Radio Kalima et collaborateur de l’hebdomadaire Al-Maouqif, accusé de “troubles à l’ordre public, insultes à l’autorité et atteintes aux bonnes mœurs”. Il risque jusqu’à un an de prison ferme. En parallèle, les journalistes indépendants continuent de subir d’importantes pressions. « Avec ce procès, on doit à nouveau faire face à une affaire montée de toutes pièces. Le journaliste est poursuivi pour prétendu délit de droit commun, alors que c’est son activité professionnelle qui est visée. Les droits de la défense ont été systématiquement bafoués. Nous demandons à la justice tunisienne d’abandonner toutes les charges qui pèsent contre lui », a déclaré Reporters sans frontières. Nizar Ben Hassine a été convoqué le 23 février dernier, officiellement pour avoir participé, le 27 juin 2009, à un sit-in organisé par une association d’étudiants de la ville de Chebba devant le siège de la municipalité. Affaire pour laquelle il avait été convoqué le 27 juin. Mais il ne fait aucun doute que la convocation du journaliste fait suite à la diffusion sur le site Internet de la Radio Kalima de la seconde partie (sur trois) d’un reportage dans le quartier de La Goulette (banlieue nord de Tunis), montrant l’expropriation illégale de propriétaires, au profit de proches de la famille du président tunisien. Le procès de Nizar Ben Hassine s’est ouvert le 16 mars dernier devant le tribunal cantonal de Chebba, dans un climat tendu dû à une forte présence policière. La police avait bouclé tous les accès menant au tribunal. De nombreux avocats ont ainsi été empêchés d’accéder, à temps, au tribunal, tout comme le premier témoin. Seul Maître Garfi a pu entrer à temps pour l’audience. L’accusé n’a pas pu pénétrer dans l’enceinte du tribunal. Il a fallu l’insistance de son avocat pour qu’il puisse entrer. Dans ces conditions, Maître Garfi a demandé le report du procès au 30 mars, afin que de nouveaux avocats puissent prendre connaissance du dossier. Le 30 mars, deuxième séance et même procédé : encerclement du tribunal et avocats empêchés d’accéder à temps à l’audience. Les deux témoins à décharge ont été agressés par la police et également empêchés d’accéder à la salle d’audience. Toutefois, cinq avocats ont pu plaider. Le verdict sera rendu le 6 avril prochain.

Des journalistes harcelés au quoditien

Moez Jemai, collaborateur de Radio Kalima à Gabès (400 km au sud de Tunis) et responsable du blog « Pour un peuple tunisien libre », a été interpellé le 29 mars 2010 au domicile d’un de ses amis. Des policiers l’ont mis de force dans une voiture. « Ils ont roulé, roulé, pendant deux heures et demie. Ils m’ont lâché au milieu de nulle part, sans me dire où j’étais », a déclaré Moez Jemai à Reporters sans frontières. Il avait reçu des menaces téléphoniques anonymes le 23 mars dernier, suite à la publication sur son blog d’un commentaire critique à l’égard de l’épouse du président, Leila Ben Ali. La personne a proféré de graves menaces à son encontre, et à l’encontre de sa sœur s’il n’arrêtait pas sa collaboration avec Radio Kalima. Moez Jemai a porté plainte le 30 mars suite à ces menaces. Aymen Rezgui, collaborateur de l’hebdomadaire Attarik Al-Jadid, organe du mouvement Ettajdid, a été interpellé, le 26 mars 2010, par la police alors qu’il était parti effectuer un reportage sur la région de Gafsa à la veille des élections municipales du 9 mai prochain. Il était en compagnie de Mahmoud Ben Romdhane, un des dirigeants du mouvement, quand la police l’a arrêté à Oum Larayes (450 km au sud de Tunis) et retenu près d’une heure au poste pour un interrogatoire. Une fois relâché, il n’a pu récupérer sa caméra, sans qu’un reçu ne lui soit délivré, avec une vague promesse d’être recontacté dans le futur à cet effet. Le 22 mars 2010, la ministre de la Communication Oussama Romdhani a interdit à l’organisation Human Rights Watch d’organiser une conférence de presse dans la capitale à l’occasion du lancement de son rapport « Une prison plus vaste : Répression des anciens prisonniers politiques en Tunisie », sur l’éventail des mesures répressives que les autorités imposent aux anciens prisonniers. Les autorités n’ont fourni aucune raison légale à l’appui de cette décision. L’organisation a cependant organisé, le 24 mars, une réunion d’information dans les bureaux d’un cabinet juridique. Mais des policiers en civil ont physiquement empêché des journalistes et des avocats défenseurs des droits de l’homme de parvenir jusqu’au lieu de la réunion. Seuls un diplomate et trois militants des droits de l’homme ont réussi à s’y rendre, qui était par ailleurs accessible par téléconférence. Parmi les journalistes qui ont indiqué avoir été empêchés par la police de parvenir jusqu’au lieu de réunion, on peut citer Lotfi Hidouri, correspondant d’Al-Quds et de la radio Kalima, qui a été empêché de sortir de ville de El-Mourouj (banlieue sud de Tunis) pour rejoindre la capitale. Même constat pour le journaliste Slim Boukhdhir, correspondant du quotidien égyptien Al-Masriyoun qui n’a pu quitter son domicile situé dans le quartier de Saidaya. Rachid Khechana et Mohamed Hamrouni de l’hebdomadaire d’opposition Al-Maouqif. Le 23 mars, Lotfi Hajji, correspondant de la chaîne Al-Jazeera, a été interdit de se déplacer dans la ville de Bizerte. Le site de Radio Kalima-Tunisie et le journal indépendant en ligne Kalima sont bloqués en Tunisie. La société Eutelsat a interrompu, le 18 mars dernier, de manière unilatérale la diffusion sur la satellite Hotbird de cette radio. Reporters sans frontières a écrit à l’entreprise européenne, basée à Paris, le 19 mars, afin de lui demander des explications. Elle n’a toujours pas obtenu de réponse. Reporters sans frontières rappelle que Fahem Boukadous, journaliste pour la chaîne Al-Hiwar Ettounsi risque jusqu’à quatre ans de prison pour avoir couvert les manifestations populaires du bassin minier de Gafsa. Le 11 décembre 2008, il avait été condamné, par contumace, à une peine de six ans de prison ferme, pour “appartenance à une association criminelle susceptible de porter atteinte aux personnes et à leurs biens”, et “diffusion d’informations de nature à troubler l’ordre public”. Le 5 février 2009, la cour d’appel avait confirmé la condamnation. Le 24 novembre 2009, le journaliste s’était présenté libre au tribunal de Gafsa, mettant ainsi un terme à près de dix-sept mois de clandestinité. Etant absent lors du procès, Fahem Boukadous a fait opposition au premier jugement. La procédure a donc recommencé depuis le début, annulant les décisions juridiques précédentes concernant le journaliste. Il était jugé aujourd’hui pour les mêmes faits que ceux qui lui étaient reprochés en décembre 2008. Il a été condamné le 13 janvier 2010 à quatre ans de prison ferme par le tribunal de Gafsa. Le procès en appel a été reporté à deux reprises (23 février et 23 mars). La prochaine audience doit se tenir à Gafsa le 27 avril prochain. Reporters sans frontières rappelle également que le journaliste Taoufik Ben Brik purge actuellement une peine de six mois de prison ferme dans une affaire montée de toutes pièces. Incarcéré le 29 octobre 2009 après la publication d’articles critiques envers le régime du président Ben Ali par deux médias français, Le Nouvel Observateur et le site Mediapart, il devrait être libéré à la fin du mois d’avril.
Publié le
Updated on 20.01.2016