Affaire Le Poulpe : instrumentalisation choquante du tribunal de commerce pour permettre à une entreprise privée de contourner le droit de la presse

Le tribunal de commerce de Rouen a accepté une demande de la société Valgo d’ordonner une saisie dans les locaux d’une entreprise concurrente et de permettre l’accès à des communications privées entre cette entreprise et les journalistes des médias  Le Poulpe et Médiapart.  Reporters sans frontières (RSF) dénonce une dérive grave :  le recours au droit commercial pour contourner le droit de la presse.

Le président du tribunal de commerce de Rouen a accepté une demande de la société Valgo de perquisitionner les locaux d’une entreprise concurrente et de permettre l’accès à des communications privées entre cette entreprise et les journalistes des médias Le Poulpe et de son partenaire Médiapart.

“RSF dénonce la décision du président du tribunal de commerce d'autoriser une telle perquisition. Le tribunal a accepté de se laisser instrumentaliser par la société Valgo qui entend retrouver des correspondances entre une (ou plusieurs) société concurrente et des journalistes. Une telle pratique est en contradiction flagrante avec les principes du droit de la presse, et vient illustrer la dérive croissante du recours au droit commercial pour le contourner.

Christophe Deloire
Directeur général de Reporters sans frontières (RSF)

En 2022, Le Poulpe, journal d’investigation normand publie une enquête sur un chantier de dépollution effectué par l'entreprise Valgo. La série d’articles remet en cause les pratiques de celle-ci à propos du traitement des hydrocarbures ou de l'amiante restés sur le site de l’ancienne raffinerie Petroplus.

La société incriminée soupçonne l’entreprise concurrente, Troletti TP, désormais propriété du groupe de BTP Lhotellier, d’être à l’origine des révélations transmises par le média. Arguant d’une “concurrence déloyale par dénigrement”, Valgo saisit le président du tribunal de commerce de Rouen pour requérir, hors de toute procédure contradictoire,  une action d’huissiers au sein de l’entreprise Troletti TP (une “perquisition civile”).

Répondant favorablement à cette demande, le tribunal ordonne, dans un texte officiel du 29 septembre 2022, une saisie de “l’ensemble des correspondances” entre Troletti TP et plusieurs journalistes nommément visés, à savoir : la journaliste Laurence Delleure, à l’origine de l'enquête, le cofondateur du Poulpe, Gilles Triollier, et le président de Médiapart Edwy Plenel.

Selon les informations du Poulpe, un huissier accompagné d’un expert informatique et de policiers s'est effectivement déplacé le 28 novembre dans les locaux de la société Troletti TP : « L’huissier a regardé à l’intérieur de plusieurs ordinateurs, il a pris quelques mails. Sa mission a duré environ deux heures ».

Valgo a formulé une nouvelle demande au tribunal, au terme d’une procédure contradictoire, pour avoir accès aux documents saisis mis sous séquestre par l’huissier. Ni Valgo, ni Troletti TP, ni le tribunal ne répondent aux interrogations du Poulpe. RSF n’a pas réussi à obtenir de clarification de leur part à propos de ce que sont devenus les documents saisis. Si une telle demande devait être formulée par Valgo, RSF ne peut qu’appeler Troletti TP de s’y opposer.

Selon le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2023, la France se situe à la 24e place sur 180 pays.

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