Affaire Guy-André Kieffer : Cinq ans hors d'état d'informer, cinq ans de questions sans réponses

A l'occasion du cinquième anniversaire de l'enlèvement à Abidjan de Guy-André Kieffer, sa famille, ses comités de soutien et Reporters sans frontières ont organisé une manifestation, place de la Bastille à Paris. "Cinq longues années ont passé sans qu'à aucun moment la vérité sur le sort de Guy-André Kieffer soit établie. Ce silence pesant n'a que trop duré", a déclaré l'organisation.

A l'occasion du cinquième anniversaire de l'enlèvement à Abidjan du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer, sa famille, ses comités de soutien et Reporters sans frontières ont organisé une manifestation, le 16 avril 2009, place de la Bastille à Paris. A 13 heures, faisant face à un homme représentant Guy-André Kieffer empêché d'écrire, des dizaines de personnes réunies sur la place de la Bastille ont figuré un public privé d'informations. Les mains apposées sur les yeux, les oreilles ou la bouche, les manifestants ont suggéré l'opacité régnant depuis la disparition du journaliste. "Cinq longues années ont passé sans qu'à aucun moment la vérité sur le sort de Guy-André Kieffer soit établie. Ce silence et cette impunité insoutenables pour ses proches n'ont que trop duré. Une nouvelle fois, nous formulons le vœu que la justice française, en coopération avec les autorités ivoiriennes, puisse faire son travail en toute indépendance, que les personnes citées dans le dossier soient toutes entendues, et que les témoins susceptibles de faire avancer l'enquête soient protégés d'éventuelles pressions", a déclaré Reporters sans frontières. Rappel des faits Le 16 avril 2004, le journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer a été kidnappé par un commando sur le parking d'un supermarché d'Abidjan, après avoir été attiré dans un piège par Michel Legré, beau-frère de Mme Simone Gbagbo, l'épouse du président Laurent Gbagbo. Michel Legré a été mis en examen le 21 octobre 2004 par le juge d'instruction français Patrick Ramaël pour “enlèvement et séquestration”. Supposé être placé en résidence surveillée à Abidjan, après un an et demi de détention, il circule pourtant librement, y compris hors du pays. Jean-Tony Oulaï, un ressortissant ivoirien se disant “ex-capitaine” de l'armée, et que certains témoins accusent d'avoir supervisé l'enlèvement du journaliste, a également été mis en examen pour “enlèvement et séquestration” en janvier 2006 en France et placé en détention. Mais l'enquête se heurte aux relations difficiles entre la France et la Côte d'Ivoire, aux difficultés pour mener des recherches sur place, et à l'omerta qui entoure les protagonistes de l'affaire, tous proches de la présidence ivoirienne. Chronologie - Début 2004 : Le journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer vit en Côte d'Ivoire depuis fin janvier 2002. Ancien journaliste au quotidien économique La Tribune, il collabore à plusieurs revues spécialisées et à La Lettre du Continent, publication basée en France et consacrée à l'Afrique. Il a aussi pour habitude d'écrire dans la presse locale, sous couvert d'un pseudonyme. Spécialisé dans les matières premières et les affaires économiques et financières, il enquête sur les malversations dans la filière cacao, dont la Côte d'Ivoire est le premier producteur mondial. - 16 avril 2004 : A 13 heures, le journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer est enlevé sur le parking d'un supermarché, à Abidjan, alors qu'il avait rendez-vous avec Michel Legré, le beau-frère de Simone Gbagbo. L'enlèvement n'est pas revendiqué. - 28 avril 2004 : La famille de Guy-André Kieffer porte plainte contre X, à Paris, pour enlèvement et séquestration. - Début mai 2004 : La voiture de Guy-André Kieffer est retrouvée sur le parking de l'aéroport d'Abidjan. - 27 mai 2004 : 40 jours après l'enlèvement, les autorités judiciaires ivoiriennes ouvrent une enquête. - Mai 2004 : Entendu à deux reprises par le juge d'instruction français Patrick Ramaël, Michel Legré cite au moins huit noms de personnes impliquées, selon lui, dans l'enlèvement. - 28 mai 2004 : A la demande de la justice ivoirienne, Michel Legré est inculpé de "complicité d'enlèvement, séquestration et assassinat". Il est incarcéré à la Maison d'arrêt et de correction d'Abidjan (Maca). - Juin-Juillet 2004 : L'examen de l'ordinateur portable et du téléphone de Guy-André Kieffer, remis aux autorités par Michel Legré, révèle qu'ils ont été utilisés peu de temps après sa disparition, confirmant la thèse de l'enlèvement pour des motifs professionnels. - Juillet 2004 : Michel Legré met en cause le ministre de l'Economie et des Finances, Paul-Antoine Bohoun Bouabré. Ce dernier lui aurait personnellement remis une enveloppe contenant un million de francs CFA (environ 1 500 euros) le 16 avril, quelques heures après l'enlèvement du journaliste. - 3-15 octobre 2004 : Patrick Ramaël et Emmanuelle Ducos, juge d'instruction cosaisie du dossier, entendent plusieurs personnalités citées par Michel Legré en Côte d'Ivoire. - 11 octobre - 13 décembre 2004 : Le 11 octobre, Michel Legré est mis en examen pour "enlèvement et séquestration" par le juge Patrick Ramaël. Dix jours plus tard, le juge délivre un mandat d'arrêt à l'encontre de Michel Legré. Ce dernier étant incarcéré à Abidjan, le mandat peut ainsi permettre son extradition vers la France. Le 13 décembre, le juge Patrick Ramaël demande la remise temporaire pour deux mois de Michel Legré aux autorités françaises. - 12-26 février 2005 : Patrick Ramaël séjourne en Côte d'Ivoire. Sa demande de remise temporaire de Michel Legré n'est toujours pas parvenue aux autorités ivoiriennes en raison d'un blocage au sein du quai d'Orsay. - 22 mars 2005 : Le portrait de Guy-André Kieffer est accroché place de la Nation, à Paris. - 14 avril 2005 : Osange Silou Kieffer, épouse du journaliste, est informée que la demande de remise temporaire de Michel Legré exprimée par le juge Ramaël est enfin parvenue au ministère ivoirien de la Justice. - 15 avril 2005 : Reporters sans frontières, Osange Silou Kieffer et le comité de soutien "Vérité pour Guy André Kieffer" déversent du cacao liquide et des faux dollars devant l'ambassade de la Côte d'Ivoire à Paris. - 14 septembre 2005 : La famille de Guy-André Kieffer lance un appel aux Ivoiriens qui auraient des informations sur sa disparition. - 11 janvier 2006 : Un capitaine de l'armée ivoirienne, Jean-Tony Oulaï, est arrêté en banlieue parisienne. Deux jours plus tard, il est mis en examen et écroué en France. Des éléments concordants laissent penser qu'il a pu être le chef du commando qui a kidnappé et fait disparaître Guy-André Kieffer. - 16 avril 2006 : Deux ans après la disparition du journaliste, rassemblement de solidarité à Paris à l'appel de la famille et de Reporters sans frontières. - 12 juin 2006 : La famille de Guy-André Kieffer lance un appel solennel aux pouvoirs publics français pour qu'ils mettent en œuvre tous les moyens dont ils disposent pour faire enfin la lumière sur cette affaire. L'enquête n'a toujours pas avancé, Michel Legré n'a toujours pas été remis aux autorités françaises. - 28 octobre 2006 : Opération "Que savait Guy-André Kieffer ?" : des militants de Reporters sans frontières interviennent au Salon du chocolat à Paris. 29 mois après sa disparition, l'enquête est toujours au point mort. - 22 mars 2007 : La famille et les comités de soutien à Guy-André Kieffer lancent un appel aux candidats à l'élection présidentielle. Ils leur demandent de s'engager dans "un combat sans relâche pour que la vérité soit établie". - 13 avril 2007 : Osange Silou-Kieffer est reçue par Brigitte Girardin, ministre déléguée à la Coopération, au Développement et à la Francophonie, qui a régulièrement évoqué l'affaire lors de ses visites à Abidjan. Celle-ci prend l'engagement de faire du dossier "une priorité". - 16 avril 2007 : Reporters sans frontières lance, avec la famille et les comités de soutien, une campagne d'affichage sauvage par pochoir. Le portrait du journaliste, surmonté de la question : "Où est Guy-André Kieffer ?", est peint en différents endroits de Paris, et notamment devant l'ambassade de Côte d'Ivoire. - 22 août 2007 : Le président de la République, Nicolas Sarkozy, reçoit Osange Silou-Kieffer et des membres de la famille du journaliste à l'Elysée. Il s'engage à ce que la France donne aux juges français les moyens de faire leur travail, notamment pour entendre tous les témoins et auteurs supposés de l'enlèvement du journaliste. - 16 avril 2008 : A l'occasion du quatrième anniversaire de son enlèvement, le portrait du journaliste Guy-André Kieffer est accroché sur la façace de la mairie du 20e arrondissement de Paris. - 8 juillet 2008 : Le juge français Patrick Ramaël déclare avoir convoqué, le 10 juillet, comme témoins dans le cadre de l'affaire Kieffer, Simone Gbagbo, l'épouse du président ivoirien Laurent Gbagbo, et Paul-Antoine Bohoun Bouabré, ancien ministre de l'Economie, dont les noms ont été cités à plusieurs reprises lors d'interrogatoires. Deux jours plus tard, Simone Gbagbo et Paul-Antoine Bohoun Bouabré ne se rendent pas à la convocation du juge. - 21 juillet 2008 : Un témoin prend contact avec le juge Patrick Ramaël, expliquant qu'il est disposé, sous couvert de l'anonymat, à fournir des informations. Trois jours plus tard, le juge est autorisé par le procureur de la République et le juge des détentions et des libertés à entendre ce témoin, dont l'identité est communiquée, conformément à la procédure. Une semaine plus tard, ce témoin se présente au palais de justice pour être entendu, mais signifie au juge qu'il ne souhaite plus témoigner. Il fait état de "pressions", et cite notamment Patrick Ouart, conseiller du président Nicolas Sarkozy, chargé des questions de justice. - 23 septembre 2008 : Lors de son audition, Patrick Ouart nie avoir pris contact avec un témoin quelconque et avoir exercé des pressions sur lui. Le lendemain, il dépose plainte contre X pour "dénonciation calomnieuse". - 17 octobre 2008 : La justice ivoirienne lance un mandat d'arrêt international contre Berté Seydou, un Ivoirien vivant en France et principal témoin du juge français Patrick Ramaël. Ce témoin affirme avoir été le chauffeur du chef du commando qui a enlevé Guy-André Kieffer et dit avoir assisté à son assassinat, sur ordre de Mme Gbagbo. - 16 mars 2009 : Convoquée à Paris par le juge Ramaël dans le cadre de l'affaire Kieffer, Simone Gbagbo accepte d'être entendue, mais uniquement à Abidjan. - 8 avril 2009 : La famille de Guy-André Kieffer, Reporters sans frontières et les comités de soutien adressent une lettre ouverte au président Nicolas Sarkozy, lui demandant de refaire de ce dossier une priorité pour la France. - 16 avril 2009 : A l'occasion du cinquième anniversaire de l'enlèvement de Guy-André Kieffer, sa famille, les comités de soutien et Reporters sans frontières organisent une manifestation sur la place de la Bastille à Paris ainsi qu'une soirée "Musique et Poésie" au Cabaret Sauvage.
Publié le
Updated on 20.01.2016