Affaire Gongadze : le procureur général Piskoun, limogé en octobre dernier, réintègre son poste

Le 18 novembre 2005, un tribunal de Kiev a ordonné la reconduite de Sviatoslav Piskoun au poste de procureur général. Ce dernier avait été limogé le 14 octobre. La justice ukrainienne, mais aussi les médias et la classe politique lui reprochaient l'absence d'avancées dans les enquêtes sur les scandales du précédent régime, en particulier sur l'assassinat, en 2000, du journaliste Géorgiy Gongadze. Le ministre de la Justice, Sergui Golovaty, a critiqué cette reconduite et évoqué le lancement d'une procédure d'appel. - - - - - - Affaire Gongadze : la Cour européenne des droits de l'homme condamne Kiev 9 novembre 2005 Le 8 novembre 2005, la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg (CEDH) a condamné les autorités ukrainiennes à la suite d'une requête de Miroslava Gongadze, la veuve du directeur du journal en ligne Ukrainskaïa Pravda, Géorgyi Gongadze, assassiné en 2000. Les juges ont conclu à l'unanimité que les autorités avaient « manqué à protéger la vie du mari de la requérante ». Ils ont également conclu à des violations s'agissant de l'interdiction des traitements inhumains et dégradants et du droit à un recours effectif. Kiev devra par conséquent verser 100 000 euros à Miroslava Gongadze, au titre des dommages matériels et moraux. Le 3 novembre, le parlement ukrainien a confirmé la nomination par le président Viktor Iouchtchenko de Oleksandr Medvedko au poste de procureur général d'Ukraine. Lors de son discours d'investiture, ce dernier a déclaré qu'il « caressait l'espoir » d'un résultat positif dans l'enquête sur les commanditaires de l'assassinat du journaliste et que son bureau collaborait dans ce dossier avec les services secrets ukrainiens. - - - - - - Le Président limoge le procureur général Piskoun 14 octobre 2005 Le 14 octobre, le président Viktor Iouchtchenko a limogé par décret le procureur général Sviatoslav Piskoun. Plusieurs médias et hommes politiques avaient récemment mis en cause ce dernier, dans l'absence de progrès dans l'enquête sur l'assassinat, en 2000, du journaliste Géorgiy Gongadze. Sviatoslav Piskoun a déclaré à l'agence Interfax qu'il était « heureux » de son renvoi et qu'il entendait se lancer dans la politique. Il avait été nommé au poste de procureur général en 2002, puis été démis de ses fonctions par l'ancien président Léonid Koutchma, un an plus tard. Il avait réintégré son poste fin 2004, à la suite de la décision d'un tribunal de Kiev. Le 10 octobre dernier, Serhiy Holovatyy, ex-avocat de la mère de Géorgiy Gongadze, récemment nommé ministre de la Justice, avait déclaré sur la chaîne NTN que « tant que Sviatoslav Piskoun restait procureur général, l'enquête sur l'assassinat du journaliste resterait dans l'impasse ». Les autorités avaient annoncé en mars dernier connaître l'identité des commanditaires de l'assassinat du journaliste, mais leurs noms n'ont toujours pas été dévoilés. - - - - - - L'ex-président Koutchma accusé d'avoir commandité l'assassinat du journaliste Géorgiy Gongadze 21 septembre 2005 Le 20 septembre 2005, une commission d'enquête parlementaire ukrainienne, présidée par Grigoriy Omeltchenko, a accusé l'ancien président Léonid Koutchma d'être à l'origine de l'enlèvement et de l'assassinat en 2000 du journaliste d'opposition Géorgiy Gongadze. Elle a également accusé le président du Parlement, Volodymyr Litvine, alors chef de l'administration présidentielle, d'être l'instigateur de cet assassinat. Les accusations envers Léonid Koutchma et Volodymyr Litvine se fondent sur les enregistrements de conversations entre les deux hommes. La commission a également découvert que plus de 30 policiers enquêtaient à l'époque sur Géorgiy Gongadze. Léonid Koutchma s'est refusé à tout commentaire quant à cette accusation. Volodymyr Litvine a pour sa part qualifié de provocation, le 21 septembre, les conclusions de la commission d'enquête parlementaire. Le Parlement, quant à lui, a ordonné la dissolution de la commission d'enquête et proposé à Grigoriy Omeltchenko de remettre ses conclusions au parquet. Le président de la commission a déclaré qu'il soupçonnait le procureur général de faire traîner l'affaire et demandé au Parlement une motion de censure, ainsi que la démission de Volodymyr Litvine. Les poursuites judiciaires à l'encontre des deux hommes politiques sont peu probables, selon des observateurs sur place. « Ces conclusions ne sont pas fondées juridiquement et (...) sont politiquement biaisées », a estimé le politologue ukrainien Volodymyr Malinkovitch. - - - - - - Cinquième anniversaire de la disparition de Géorgiy Gongadze : Reporters sans frontières considère que l'affaire n'est toujours pas élucidée 15 septembre 2005 Cinq ans après la disparition, le 16 septembre 2000, de Géorgiy Gongadze, rédacteur en chef du journal en ligne d'opposition Ukrainska Pravda (www.pravda.com.ua), dont le corps décapité avait été retrouvé le 2 novembre 2000, l'enquête a révélé l'identité des exécutants de l'assassinat du journaliste. Le parquet n'a cependant toujours pas livré les noms des commanditaires, contrairement aux promesses répétées du président Viktor Iouchtchenko. Le 8 août 2005, le procureur général Sviatoslav Piskoun a annoncé que l'enquête était close. Les officiers de police Valeriy Kostenko, Mikola Protasov et Oleksandr Popovych sont accusés d'avoir enlevé et tué le journaliste d'opposition. Un quatrième suspect, le général Olexi Poukatch, est toujours sous le coup d'un mandat d'arrêt international. Myroslava et Lessia Gongadze, la veuve et la mère du journaliste, ont considéré que l'enquête devait rester ouverte tant que les commanditaires et le général Poukatch n'auront pas été arrêtés. « Au cours des cinq années d'enquête, un nombre incalculable d'erreurs et de manipulations ont été relevées. Nous déplorons que les déclarations officielles et répétées sur l'imminence de la résolution de l'assassinat de Géorgiy Gongadze soient restées lettre morte. Nous rappelons notamment au président Viktor Iouchtchenko les engagements qu'il avait pris devant la presse, le 1er mars 2005, affirmant que ‘ l'affaire Gongadze était élucidée ‘ et qu'il s'agissait maintenant de ‘ remonter aux commanditaires '. Nous ne saurons nous satisfaire de la seule inculpation des exécutants de ce crime sordide. Nous attendons toujours que l'ensemble des responsables, à tous les niveaux, soient identifiés et punis », a déclaré Reporters sans frontières. De nombreuses informations ont été révélées par la presse et la justice depuis le 3 mars dernier. Le parquet a dévoilé que Géorgiy Gongadze avait été enlevé en voiture, en bas de chez lui, par trois policiers, accompagnés du général Poukatch. Ce dernier aurait ensuite étranglé lui-même le journaliste avant d'enterrer son corps dans la forêt de Tarachtcha. Par ailleurs, un témoin clé de l'affaire, Iouri Kravtchenko, l'ancien ministre de l'Intérieur du président Léonid Koutchma, susceptible d'apporter de nouveaux éclairages dans l'enquête, est mort dans des circonstances particulièrement troublantes. Le 4 mars, appelé par le parquet à témoigner dans le cadre de l'enquête, il a été retrouvé mort, le jour même, dans sa maison de campagne au sud de Kiev. Il se serait suicidé de deux balles dans la tête. Aucune information n'a par ailleurs filtré de l'audition de Léonid Koutchma, le 10 mars, par le procureur général ukrainien, l'ancien président s'étant contenté de rejeter publiquement toute implication dans ce crime. Les relations entre la famille du journaliste disparu et le nouveau pouvoir à Kiev restent orageuses. La Cour européenne des droits de l'homme a déclaré recevable, le 31 mars, la requête introduite par Myroslava Gongadze, la veuve de Géorgiy Gongadze. Celle-ci reproche aux autorités ukrainiennes d'avoir « négligé d'enquêter sur cette affaire de manière cohérente et effective » et d'avoir failli à « protéger la vie de son mari ». Le président Viktor Iouchtchenko a déclaré à Myroslava Gongadze, lors d'un entretien le 20 avril, qu'il connaissait les noms des commanditaires de l'assassinat de son mari. Le 1er août, Myroslava et Lessia Gongadze ont pu accéder au dossier judiciaire pour la première fois depuis cinq ans et, le 24 août, le président Viktor Iouchtchenko a décerné le titre de « Héros de l'Ukraine » au journaliste Géorgiy Gongadze. Le 9 septembre, la veuve du journaliste a déclaré que le président Viktor Iouchtchenko n'avait pas la volonté d'élucider complètement cette affaire. Quelques jours plus tard, l'avocat de Lessia Gongadze, la mère du journaliste, a déclaré que les résultats de la cinquième expertise ADN du corps de son fils, effectuée par des experts allemands, n'étaient pas concluants. Géorgiy Gongadze a disparu à l'âge de 31 ans, le soir du 16 septembre 2000. Son corps décapité et mutilé a été retrouvé le 2 novembre suivant. Le journaliste, durant les mois précédant sa disparition, se sentait menacé. Il était surveillé par les forces de l'ordre et suivi par des inconnus dans une voiture portant des plaques d'immatriculation de la police. Il disait ressentir une « terreur morale » et avait dénoncé une « provocation planifiée, dont l'objectif est, au mieux, de m'intimider et, au pire, de m'empêcher d'exercer mon métier » (lettre ouverte au procureur général d'Ukraine, Mikhaïlo Potebenko, 14 juillet 2000). La justice n'avait pas pris au sérieux les menaces dont il était l'objet.
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Updated on 20.01.2016