Affaire FC Barcelone au Kirghizistan : RSF sort le carton rouge au président Japarov pour avoir taclé un média d’investigation

Les autorités kirghizes veulent liquider le média indépendant Kloop, peu après la publication d’une enquête sur une affaire de favoritisme impliquant le président du pays et le FC Barcelone. Reporters sans frontières (RSF) exhorte le tribunal à rejeter cette plainte à caractère politique.

Ce devait être un moment de prestige international pour le président kirghiz. Entouré des plus grandes stars de l’histoire du célèbre Football Club (FC) Barcelone, Sadyr Japarov a inauguré ce mardi 29 août deux filiales du club catalan dans son pays, avant d’assister mercredi à une rencontre entre ces “légendes” et des joueurs locaux. Mais le site d’investigation Kloop a “gâché” la fête en publiant, la semaine précédente, une enquête sur les proches du président et un partenaire du géant russe du nucléaire Rosatom qui ont construit l’Académie de football du FC Barcelone, sur des terres (confisquées) appartenant à l'État kirghiz. Dans une interview à l’agence de presse gouvernementale, Sadyr Japarov, visiblement irrité, attaque le média et tente de discréditer ses journalistes.

La sanction est immédiate : le jour de la publication de l’enquête, le 22 août, Kloop a reçu une plainte du procureur de Bichkek demandant sa liquidation. Celui-ci dénonce une “activité allant bien au-delà de la charte de l’organisation”, qui se définit comme une plateforme d’information, et cite une enquête des services secrets kirghiz (GNKB) sur le média, ouverte en 2021 pour suspicion d’“appel public à renverser le pouvoir”. ‘’Conclusion du rapport du GNKB : Kloop s’attelle à “critiquer sévèrement les activités du gouvernement actuel [] et à discréditer le gouvernement et les autorités locales”.

“Ce n’est pas la première tentative d’intimidation et de censure de Sadyr Japarov à l’égard des médias indépendants du pays, qui faisait figure jusqu’à l’an dernier de relative oasis en matière de liberté de la presse en Asie centrale. Il semble allergique à la critique et ses réactions épidermiques le trahissent. Sa réponse violente et méprisante à l’enquête de Kloop, assortie d’une attaque judiciaire absurde, montre son vrai visage. RSF exhorte le tribunal de Bichkek à rejeter cette plainte sans fondement.

Jeanne Cavelier
Responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale

La plainte s’appuie sur des arguments absurdes et aux bases juridiques faibles ou inexistantes. Le procureur reproche ainsi à Kloop de ne pas être enregistré comme un média. Or, cette obligation d’enregistrement n’est pas en vigueur : elle n’existe que dans un projet de loi “à la russe” forgé par l’administration présidentielle depuis plusieurs mois. Pour prouver le biais négatif du média contre le gouvernement, le procureur cite plusieurs articles dont certains ne sont même pas en ligne. Ou encore, il reproche simultanément à Kloop de “présenter les citoyens kirghizes comme inférieurs au peuple russe” et de tenir des propos “dégradants et humiliants” à l’égard de cette même nation russe.

Depuis sa création en 2007, Kloop a révélé de nombreux scandales, dont celui d’un réseau de corruption à hauteur de plusieurs centaines de millions de dollars au sein des douanes kirghizes, qui lui ont valu des persécutions des gouvernements successifs. Ce dernier épisode rappelle le calvaire traversé par Radio Azattyk (filiale locale du média américain Radio Free Europe/Radio Liberty) depuis octobre 2022 avec le blocage de ses sites, jusqu’à son procès en liquidation. Le 12 juillet 2023, ce média a supprimé plusieurs articles, pour mettre un terme à l’acharnement judiciaire des autorités.

Plus largement, l’oasis de liberté de la presse que constituait le Kirghizistan dans une Asie centrale autoritaire est en passe de disparaître, sous la pression étouffante du régime de Japarov. Le pays pointe à la 122ᵉ position du Classement de la liberté de la presse, après une chute de 50 places en 2023.

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