Affaire Alexandr Podrabinek : des menaces de mort aux poursuites judiciaires

"L'affaire est passée de la phase brutale à la phase judiciaire!" Ainsi le journaliste indépendant Alexandr Podrabinek a-t-il salué sa sortie de clandestinité sur son blog, le 19 octobre 2009. Depuis une dizaine de jours, le journaliste est progressivement sorti du silence forcé dans lequel l'avait poussé la campagne de haine orchestrée par des mouvements "patriotiques" russes, notamment les "Nashi" ("Les Nôtres"). Après s'être montré une première fois lors de la manifestation en hommage à Anna Politkovskaïa organisée à Moscou le 7 octobre 2009, Alexandr Podrabinek a pu rentrer chez lui et commencer à reprendre ses activités professionnelles. Il s'est dit déterminé à ne pas quitter le pays. Joint au téléphone par Reporters sans frontières, Alexandr Podrabinek estime que "(ces jeunes) ne comprennent tout simplement pas ce que signifie la liberté d'expression, le fait de tolérer l'expression d'opinions divergentes. Leur éducation en est en grande partie responsable." "Nous sommes soulagés que la situation d'Alexandr Podrabinek revienne progressivement à la normale, mais nous restons extrêmement vigilants", a déclaré Reporters sans frontières. "Les mouvements 'patriotiques' n'ont pas désarmé dans leurs attaques contre ceux qui ne sont pas du même avis qu'eux. Ainsi, les menaces continuent sur Internet, et les nostalgiques de l'Union soviétique tentent de se servir de la justice pour renforcer leur audience." Les interventions publiques du Kremlin contre certains agissements des "Nashi", organisation pourtant créée à l'initiative de Vladimir Poutine pour soutenir sa politique, ont contribué à calmer la situation. Ce groupe de jeunesse est coutumier des actions coup de poing contre tous ceux qui portent atteinte, de près ou de loin, à "l'honneur de la Sainte Russie". Mais cette fois-ci, les "Nashi" ont visiblement été trop loin pour les autorités. Cependant, les "Nashi" n'ont pas pour autant baissé les bras. Le 22 octobre, l'organisation a annoncé poursuivre en justice quatre journaux européens pour "atteinte à son honneur et à sa réputation". Le Monde, Le Journal du Dimanche, The Independent et le Frankfurter Rundschau sont accusés d'avoir couvert l'affaire Podrabinek de façon partiale et d'avoir publié des informations inexactes et insultantes. Plus grave, d'autres organisations pro-Kremlin, telles que "la Jeune Garde de la Russie Unie", affiliée au parti au pouvoir, avaient joint leur voix au concert d'insultes, souvent à relents raciste et antisémite, à l'encontre d'Alexandr Podrabinek. Elles ne sont pas inquiétées. Bien au contraire, c'est le journaliste qui doit faire face à des plaintes. Un vétéran de la Seconde Guerre mondiale, Viktor Semenov, et le Parti communiste de Russie, lui réclament des excuses et le versement de dommages et intérêts, tandis que la "Ligue contre l'immigration illégale" a demandé aux tribunaux l'ouverture d'une enquête pour "extrémisme" à l'encontre d'Alexandr Podrabinek. La polémique sur le passé soviétique et la figure de Joseph Staline est vive en Russie, où les "nostalgiques" tentent d'utiliser la justice comme une tribune pour leurs idées. Le petit-fils de Staline, qui avait porté plainte contre le journal Novaïa Gazeta pour insulte à la mémoire de son grand-père, a été débouté le 13 octobre. Le 20 octobre, le mouvement "patriotique" "Génération de la victoire", a annoncé porter plainte contre l'OSCE suite à une résolution de son assemblée parlementaire qualifiant le stalinisme de "régime totalitaire".
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Updated on 20.01.2016