Voice TV suspendue pour quinze jours en Thaïlande : RSF dénonce une grave atteinte au pluralisme
Reporters sans frontières (RSF) condamne avec la plus grande fermeté la suspension par la junte au pouvoir à Bangkok de la chaîne proche de l’opposition Voice TV. A six semaines des élections générales, cet acte envoie un funeste signal quant au respect du pluralisme médiatique.
Un écran noir… C’est ce à quoi sont réduits les téléspectateurs de Voice TV depuis ce mardi 12 février, après que l’Autorité thaïlandaise de régulation des télécommunication (ATRT) a ordonné la veille la suspension pure et simple de la chaîne pour une durée de quinze jours. En cause : des contenus “provocateurs” qui auraient été diffusés dans deux émissions de la chaîne. Le lieutenant-général Perapong Manakit, directeur de l’ATRT, n’a pas jugé utile de préciser la nature de ces contenus.
Fondée par le fils de l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, renversé par l‘armée en 2006 et depuis poussé à l’exil, Voice TV fait partie des derniers médias traditionnels dont la ligne éditoriale ne suit pas celle imposée par la junte au pouvoir.
“A moins d’un mois et demi des premières élections organisées dans le pays depuis le coup d’Etat militaire de 2014, la suspension de Voice TV est un signe particulièrement inquiétant, regrette Daniel Bastard responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF. C’est un coup sévère porté au pluralisme démocratique. Nous appelons le gouvernement du général Prayut à revenir immédiatement sur cette décision, sans quoi le scrutin du 24 mars n’aura aucune crédibilité.”
Cinquante cas de censure
Interrogé sur l’affiliation politique supposée de Voice TV avec l’opposition à la junte, l’un de ses éditorialistes, Sirote Klampaiboon, a rappelé que les programmes de la chaîne s’efforcent d’être impartiaux et que “des dirigeants de partis pro-junte sont régulièrement invités sur [ses] plateaux”.
Depuis le retour au pouvoir de la junte militaire en 2014, Voice TV a fait l’objet de plus de cinquante cas de censure : signal interrompu, programmes interdits, journalistes exclus... Autant de pressions qui ont largement grevé les audiences de la chaîne - du moins jusque dans les derniers mois écoulés : comme le constate l’agence TV Digital Watch, les parts d’audimat de Voice TV ont récemment connu une hausse sensible, signe du regain d’intérêt du public pour des voix alternatives.
“Blitzkrieg”
Pour sa part, tous les vendredis soirs, le Premier ministre et chef de la junte, le général Prayut Chan-o-cha, occupe les ondes de plusieurs chaînes de télévision et de radio nationales pour y faire la promotion de ses points de vue.
En bonne place dans la galerie des “Prédateurs de la liberté de la presse” établie par RSF, c’est lui qui avait personnellement organisé la “blitzkrieg” lancée contre les médias indépendants au lendemain de sa prise de pouvoir. Plusieurs médias avait alors été fermés sans ménagement, comme le journal Voice of Thaksin ou les chaînes Hot TV et Rescue Satellite TV, forçant l’ensemble des organes de presse traditionnels à s’autocensurer. Une implacable vague de répression que RSF avait documentée dès 2015 dans un rapport intitulé “Thaïlande : coup d’Etat permanent contre la presse”.
Le pays se situe à la 140ème place sur 180 dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2018 établi par RSF.