Victoire pour les journalistes ukrainiens : la repénalisation de la diffamation rejetée
Organisation :
Reporters sans frontières salue le rejet du projet de loi visant à repénaliser la diffamation, qui faisait peser de graves dangers sur liberté de l'information en Ukraine.
Le retrait de la loi n°11013, adoptée en première lecture le 18 septembre 2012, a été voté le 2 octobre par 349 députés sur 450.
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01.10.2012- La repénalisation de la diffamation doit être définitivement rejetée
A la veille de l’examen final d’un projet de loi visant à repénaliser la diffamation, Reporters sans frontières réitère solennellement son appel aux députés ukrainiens, pour qu’ils écartent définitivement cette idée. L’organisation s’est jointe à une lettre commune en ce sens, signée par la plupart des organisations locales de défense de la liberté de la presse.
“Nous nous félicitons des dernières déclarations des autorités et du parti au pouvoir, qui semblent reculer face à la large mobilisation de la profession. Nous espérons vivement que les députés renonceront effectivement à une disposition qui ramènerait le pays onze ans en arrière. Il est cependant trop tôt pour crier victoire, et même si ce vote a lieu, nous resterons extrêmement vigilants : au-delà d’une volonté d’apaisement compréhensible à moins d’un mois des élections législatives du 28 octobre, il ne faudrait pas que la pénalisation de la diffamation refasse son apparition par la suite. Une telle volonté serait d’autant plus inacceptable de la part de l’Ukraine, que le pays va assumer en 2013 la présidence tournante de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE)”, a souligné l’organisation.
Les professionnels des médias ukrainiens se sont très largement mobilisés pour protester contre l’adoption, en première lecture, du projet de loi repénalisant la diffamation (voir ci-dessous), le 18 septembre 2012. La semaine dernière, de nombreux médias de référence ont placé une bannière noire sur leurs sites Internet, invitant leurs lecteurs à interpeller les 244 députés qui ont soutenu le projet de loi. Le bandeau proclamait : “Défends ton droit de savoir. Dis ‘non’ à la loi sur la diffamation”. Par ailleurs, plusieurs titres de presse écrite ont arboré une couverture vierge en signe de protestation.
Le 25 septembre, l’auteur du projet de loi, le député du Parti des régions Vitali Zhuravskiy, a annoncé qu’il souhaitait retirer son initiative “pour prendre en considération les circonstances et dans l’intérêt de l’Etat”, même s’il considérait toujours une telle loi nécessaire. Le lendemain, le président ukrainien, Viktor Ianoukovitch, a déclaré que l’adoption du texte en première lecture était une “erreur” et que le pays devait “adopter les standards européens dans tous les domaines”.
Le 28 septembre, Reporters sans frontières a reçu une lettre en ce sens de la part de l’ambassadeur ukrainien pour la coopération avec les organisations internationales et de la société civile, Yevgen Perebyinis. Ce courrier répond à la lettre ouverte adressée aux parlementaires par l’organisation, le 2 août 2012 (voir ci-dessous).
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19.09.2012 - Repénalisation de la diffamation : la liberté de l’information gravement menacée
Reporters sans frontières condamne fermement l’adoption en première lecture, par le Parlement ukrainien, d’une loi pénalisant à nouveau la diffamation, le 18 septembre 2012. L’organisation exhorte les députés à revenir sur leur décision et rejeter ce texte en seconde lecture.
« L’Ukraine ferait un bond de onze ans en arrière si le retour de la diffamation dans le code pénal était confirmé. A contre-courant d’une évolution mondiale, le pays se placerait en violation patente des conventions internationales qu’il a ratifiées, à commencer par la Convention européenne des droits de l’homme et le Pacte international sur les droits civils et politiques », a rappelé Reporters sans frontières.
« Un tel retour en arrière serait lourd de conséquences pour la liberté de l’information en Ukraine. Déjà confrontés à une forte insécurité et à une recrudescence de l’autocensure au sein des rédactions, les journalistes vivront désormais dans la crainte du harcèlement judiciaire. L’effet d’intimidation qui en résulterait, menacerait directement l’existence du journalisme indépendant. »
Reporters sans frontières demande à Stefan Füle, Commissaire européen en charge de l’Elargissement et de la Politique de voisinage, de signifier clairement au gouvernement ukrainien que l’adoption de ce projet de loi rendrait incompatible une association plus poussée de l’Ukraine à l’Union européenne.
Le projet de loi n°11013 a été adopté en première lecture par 244 voix sur 450. Il rétablit la responsabilité pénale pour les délits de presse et les rend passibles d’un maximum de cinq ans d’emprisonnement (voir ci-dessous).
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02.08.2012 - Appel au Parlement contre la repénalisation de la diffamation
Paris, le 31 juillet 2012
Mesdames, Messieurs les parlementaires,
Reporters sans frontières, organisation internationale de défense de la liberté de l’information, souhaite vous faire part de sa profonde inquiétude quant au projet de loi n°11013, présentée la semaine dernière au Parlement, visant à amender le code pénal et le code de procédure pénale de la république d’Ukraine en matière de diffamation.
Cela fait plus de dix ans que le Parlement ukrainien a voté la dépénalisation de la diffamation. En se dotant d’un nouveau code pénal, en janvier 2001, l’Ukraine avait fait un premier pas encourageant vers une meilleure protection de la liberté d’expression, indispensable du débat démocratique.
La proposition de loi n°11013, introduite par le député et membre du Parti des régions, Vitaly Zhuravskiy, visant à repénaliser la diffamation, constitue un dangereux retour en arrière. Nous estimons que son adoption porterait gravement atteinte à la liberté de la presse.
En effet, le texte prévoit une répression sévère des actes de diffamation et d’insulte. Les articles 145.1.2 et 145.2.2 du projet disposent que les informations jugées diffamatoires ou insultantes “manifestées publiquement dans les médias” seraient passibles d’une amende comprise entre 500 et 1500 fois le revenu minimum de l’individu (soit jusqu’à près de 14000€) ou d’une peine
d’un à deux ans de travaux d’intérêt général, voire, pour la diffamation, d’une suspension de fonction ou d’une à trois années “d’interdiction d’occuper certains postes ou d’exercer certaines activités”.
Enfin, l’alinéa 5 de l’article 145.1 prévoit, si l’acte diffamatoire “porte atteinte à la santé” de la victime, que son auteur pourrait être passible d’une peine de trois à cinq ans d’emprisonnement.
De telles sanctions sont de toute évidence disproportionnées et contraires à
l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, tel qu’interprété par la Cour de Strasbourg.
Le flou qui entoure la définition de la “diffamation” qui, selon le texte, revient à “diffuser des informations erronées, insulter l’honneur ou la dignité, ou entâcher la réputation” d’un tiers, nous fait redouter les dérives qui pourraient être entraînées par de multiples interprétations. Les journalistes pourraient être pénalement sanctionnés pour avoir publié des articles sur les agissements de représentants politiques ou d’hommes d’affaires influents. Des journalistes
risquant l’emprisonnement pour la publication de travaux d’investigation, c’est le fonctionnement même de la presse indépendante qui s’en trouve gravement menacé.
Ces dispositions violent l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques auquel l’Ukraine est partie. Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, organe indépendant chargé de surveiller l’application du texte a souligné, dans son Observation générale n°34, en juillet 2011, que “les lois sur la diffamation doivent être conçues avec soin de façon à garantir qu’elles répondent au critère de nécessité (...) et qu’elles ne servent pas, dans
la pratique, à étouffer la liberté d’expression” et que “l’emprisonnement ne constitue jamais une peine appropriée” pour sanctionner les délits de presse (§ 47).
L’expérience internationale a démontré qu’engager la responsabilité pénale des auteurs de délits de presse contribuait à installer un climat d’intimidation propre à décourager les journalistes d’aborder les sujets sensibles. Dans son arrêt du 5 avril 2011, la CEDH a condamné la Turquie pour ingérence dans le travail de l’écrivain Fatih Ta_, en décrétant que la “nature pénale de la condamnation était susceptible de l’inciter à ne plus contribuer à la discussion publique de questions intéressant la vie de la collectivité”.
M. Zhuravskiy a déclaré s’être inspiré, pour la rédaction du texte, de la Russie voisine qui, le 13 juillet dernier, a adopté une loi repénalisant la diffamation. Aussi, nous souhaiterions rappeler aux membres du parlement que cette décision avait été condamnée par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et qu’elle avait contribué à entâcher sérieusement la réputation du pays sur la scène internationale.
Reporters sans frontières vous demande de renoncer à cette proposition de loi, qui nous apparaît répressive, dissuasive et contre-productive.
Bien que nous comprenions la volonté du gouvernement de protéger au mieux les citoyens de la république d’Ukraine, nous nous interrogeons sérieusement sur l’esprit du texte qui ne semble destiné qu’à réduire la marge de manoeuvre des médias indépendants et encourager l’auto-censure des journalistes.
En vous remerciant de l’attention que vous porterez à notre demande, je vous prie d’agréer, Mesdames, Messieurs les parlementaires, l’expression de ma très haute considération.
Olivier Basille
Directeur général de Reporters sans frontières
Directeur général de Reporters sans frontières
Publié le
Updated on
20.01.2016