C’est
désormais au tour du
Centre de défense des droits des médias d’être dans la ligne de mire du ministère de la Justice russe. Créée en 1996 et basée à Voronej (Ouest), cette ONG fait référence en matière d’expertise et de soutien juridiques aux médias en difficultés. Elle mène chaque année près d’une centaine d’actions en justice pour défendre les intérêts des journalistes, et comptabilise depuis sa création des collaborations avec plus de 1100 médias russes. Les juristes du Centre produisent également des expertises pour le Conseil des droits de l’homme, rattaché à la présidence russe, et la Chambre civique du Parlement.
Sur ordre de Moscou, des experts du département régional du ministère de la Justice ont mené l’enquête sur cette ONG du 10 au 18 février 2015. Selon leurs conclusions, le Centre de défense des droits des médias reçoit des financements d’organisations étrangères et mène des activités “à caractère politique”, ce qui en fait virtuellement un “agent de l’étranger”. Si son nom s’ajoute aux
41 autres organisations inscrites sur le registre du ministère de la Justice, il devra également payer une amende de 500 000 roubles (soit près de 7 000 euros) pour ne pas s’être enregistré volontairement.
“Le Centre de défense des droits des médias ne vise qu’à faire respecter le droit des citoyens russes à la liberté d’expression, théoriquement garanti par la Constitution. Que cette organisation phare puisse rejoindre la liste des ‘agents de l’étranger’ ne fait que confirmer la portée liberticide de ce dispositif, dénonce Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale.
Nous appelons de nouveau les autorités à respecter le travail de la société civile et à revenir sur cette législation absurde et paranoïaque.”
Si le Centre n’a jamais caché qu’il recevait des financements d’institutions telles que la Commission européenne, le Conseil de l’Europe ou de fondations privées, il s’oppose à la qualification “politique” de ses activités. D’après sa directrice,
Galina Arapova,
“lorsqu’on regarde comme une ‘activité politique’ des critiques de la législations faites par des juristes, c’est déjà un problème de société”.
A l’appui de leurs conclusions, les experts du ministère de la Justice
citent les objectifs déclarés de l’organisation, comme par exemple “la promotion de la liberté d’expression comme valeur fondamentale”. Mais c’est principalement
sur la base de déclarations publiques de Galina Arapova que le ministère de la Justice justifie le caractère “politique” des activités du Centre de défense des droits des médias. Il lui est ainsi
reproché, par exemple, d’avoir critiqué la législation russe sur les médias, d’avoir qualifié certaines projets de loi de “nocifs pour la société”, et d’avoir souligné que la “mainmise de l’Etat sur les médias ne permettait pas de représenter différents points de vue dans la sphère médiatique”. Les interventions de la directrice du Centre en tant que juriste auprès de différentes institutions publiques sont également qualifiées “d’activités politiques”.
La loi qualifiant d’“agents de l’étranger” les organisations non-gouvernementales qui reçoivent des financements étrangers et mènent des “activités politiques” définies de façon très vague et large,
a été adoptée en juillet 2012, quelques mois après un
mouvement de contestation d’une ampleur inédite en Russie. Depuis juin 2014, le ministère de la Justice a les pleins pouvoirs pour estampiller les ONG du label “agent de l’étranger” de son propre chef, sans décision de justice ni assentiment des associations concernées. Le 20 novembre 2014, deux organisations de soutien aux médias, l’Institut de la presse régionale et l’agence d’information privée MEMO.RU,
ont été inscrites sur le registre des ONG “agents de l’étranger”. Le 30 janvier 2015, c’était au tour de l’
Institut de développement de la presse en Sibérie de les rejoindre.
La Russie figure au 152ème rang sur 180 dans le
Classement mondial de la liberté de la presse 2015 établi par Reporters sans frontières.