RSF et VERA Files présentent le projet Media Ownership Monitor aux Philippines : deux groupes se partagent le marché des médias

Malgré un grand nombre de titres, décrits comme formant l’un des systèmes médiatiques les plus libres de la région, les médias philippins continuent d’appartenir à l'élite économique et politique. Deux géants de l’audiovisuel dominent l'industrie médiatique philippine, tant en termes de puissance économique du marché que d'audience. Ce qui leur confère un pouvoir majeur pour former l'opinion publique. Les structures de propriété, légales en surface, relèvent souvent de la pratique de stratification d'entreprises menant à des infractions à la loi liées à la propriété étrangère et à la fiscalité.

Ce sont là quelques-unes des principales découvertes du Media Ownership Monitor (MOM), un projet de plaidoyer menés aux Philippines par VERA Files et Reporters sans frontières (RSF) durant les trois derniers mois et présenté à Manille aujourd’hui. Les résultats détaillés de cette étude de trois mois sont désormais accessibles au grand public sur le site web de MOM : http://philippines.mom-rsf.org en anglais et bientôt en tagalog.


« Bien qu'il semble y avoir peu de contrôle politique ouvertement exercé sur les médias philippins, les liens, subtiles mais étroits, entre les intérêts économiques et le pouvoir politique, et identifiés dans presque toutes les sociétés de médias, limitent l’indépendance de ces derniers, déclare Christian Mihr, directeur exécutif de RSF en Allemagne. Le cadre légal actuel ne promeut pas efficacement la transparence du marché, ni ne prend en compte les conflits d'intérêt qui se cachent dans les structures de propriété des médias. Le MOM a pour but d'être un point de départ pour une discussion sur une régulation plus efficace et indépendante des médias. »


"Le pouvoir des médias se trouve dans son rôle de véhicule d'informations à destination du public, ajoute le président de VERA Files, Ellen T. Tordesillas. Un public informé est une population responsabilisée. Il est donc important de permettre au public de savoir qui se trouve derrière leurs sources d’information et quelles sont les affiliations politiques et économiques des propriétaires de médias. Ainsi pourront-ils mieux évaluer la qualité et la crédibilité de l’information fournie par les médias."


Haute concentration du marché dans le secteur des médias


Les deux groupes de médias dominant le marché sont ABS-CBN Corporation et GMA Network Inc. A eux deux, ils détiennent 79.44 % de parts de marché sur les 29 plus grandes sociétés de médias dans le pays. Même si les budgets de publicité n’ont pu être obtenus pour toutes les sociétés, la tendance montre que les deux grandes chaînes profitent particulièrement de la vente d'espace publicitaire, la part du lion revenant à la télévision.


ABS-CBN Corp. et GMA Network Inc. offrent le contenu le plus regardé, le plus écouté et le plus consulté en ligne. Ensemble, grâce à leur chaîne de télévision ABS-CBN2 / ABS-CBN Sports and Action et GMA / GNTV, ils atteignent 80,72% de l’audience. Concernant la radio FM, 47,2% , 47,2% de l’audience est répartie entre DZMM 630 (ABS-CBN Corp.) et DZBB 594 (GMA Network, Inc.). Etant donné que la télévision et la radio sont les deux premiers types de médias dans le pays, et que la télévision est, de loin, la source d’information politique à laquelle les Philippins font le plus confiance, leur impact sur l’opinion publique est significatif. Les deux groupes de médias offrent également des sites web d’information appréciés, qui gagnent en pertinence et renforcent leur présence cross-média. Le marché de la presse écrite est réparti de manière plus égale entre les acteurs du marché, grâce à une diversité de tabloïds et de journaux “grands-formats”, les tabloïds centrés sur l’entertainment, détenant un lectorat plus important que celui des journaux “grands-formats”.


La propriété médiatique est une enclave de l’élite politico-économique


Cinq familles dans la liste Forbes des “50 Philippins les plus riches en 2016” opèrent dans l’industrie des médias, quatre d’entre elles en ont fait leur principal business. La famille Lopez est en tête de la liste des milliardaires des médias. Le triumvirat d’anciens membres du Congrès, composé de Gilberto Duavit, Menardo Jimenez et Felipe Gozon, contrôle le groupe de médias GMA Networks. La famille Yap, qui a construit sa fortune dans le secteur bancaire, possède Mania Bulletin Publishing, qui gère le journal grand format le plus populaire du pays, Manila Bulletin, et les tabloïds Balita et Tempo.


Bien que l'élite politique et économique s’entremêle, ces liens n'ont pas récemment conduit à des actions discriminatoires ciblées. En général, le contrôle politique ouvertement exercé demeure très faible. Cependant, un risque potentiel existe pour les médias, dès lors que l’élite politique commence à exploiter la vulnérabilité des propriétaires de média.


Une transparence de surface


Les compagnies enregistrées aux Philippines doivent divulguer la situation de leur actionnariat à la Securities and Exchange Commission (SEC), qui doit avoir ces informations en sa possession. Ceci n'empêche pas de cacher la structure de la compagnie pour obscurcir l’identité des réels propriétaires des médias au public. Tandis que ces structures complexes sont légales et peuvent théoriquement être ajournées, cela requiert une immense recherche d’investigation pour chaque compagnie de média.

« Au cours de nos recherches, nous avons réalisé que même si les médias demandent au gouvernement d’être transparent, l’industrie médiatique n’est elle même pas aussi transparente qu’elle devrait l’être,” déclare Ellen T. Tordesillas, président de VERA Files. Les raisons avancées pour établir, et régulièrement modifier les structures des sociétés de médias posent question. L’une d’elles pourrait être de masquer une propriété étrangère, comme cela semble être le cas pour l’empire des télécommunications de Manuel V. Pangilinan, dont on peut tracer les fonds jusqu’à un investisseur indonésien.


Le cadre légal


Aucune garantie juridique spécifique pour les médias, empêchant la concentration de la propriété n’existe. Un nouvel organe antitrust a été établi par le Fair Competition Act en 2014 par la Commission sur la compétition des Philippines (PCC). Cette institution doit toujours faire ses preuves en matière de surveillance, de prévention et de régulation des monopoles de médias.


Le rôle des médias religieux


L’implication d’organisations religieuses, comme l’Eglise catholique (Radyo Veritas) et l’association locale Iglesia ni Cristo (INC TV) dans le marché des médias, est une spécificité des Philippines. Officiellement, les Philippines sont une Nation laïque, avec une Constitution qui garantit la séparation de l’église et de l’Etat. Toutefois, Iglesia ni Cristo, dirigée par Eduardo V. Manalo, pratique le vote en bloc et leurs représentants ont soutenu des personnes clés au sein du gouvernement.


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Le projet “Media Ownership Monitor Philippines” a été réalisé par Reporters sans frontières en partenariat avec VERA Files entre août et novembre 2016. Le projet a étudié le cadre légal, la concentration des médias et les structures de propriété des 46 médias nationaux les plus populaires du pays.


VERA Files est une organisation à but non lucratif composée de journalistes vétérans, visant à faire progresser l'excellence en journalisme par le biais de recherche approfondies, de rapports présentés sous divers formats et en offrant des formations, notamment sous forme de mentorat à des journalistes.


MOM est un projet international lancé par l'organisation internationale de défense de la liberté de la presse Reporters sans frontières. Le Projet est en cours dans huit pays du monde, y compris la Turquie, la Tunisie, la Colombie et le Cambodge. Une méthodologie générique est appliqué pour tous les pays, car elle examine la propriété et la concentration des groupes audiovisuels, de presse écrite et en ligne les plus pertinents, sélectionnés en fonction de leur part d'audience. Le projet est financé par le ministère allemand du Développement et de la Coopération économique (BMZ).



Contacts :


Reporters Without Borders Germany (media relations team)

Ulrike Gruska / Christoph Dreyer / Anne Renzenbrink

[email protected]

www.reporter-ohne-grenzen.de/presse

T: +49 (0)30 60 98 95 33-55


VERA Files

Ellen Tordesillas, Trustee

[email protected]


Publié le
Updated on 23.08.2019