Présence dérangeante de Gulnara Karimova

Monsieur le Vice-Président, Mesdames et Messieurs les Représentants de l’AmfAR au festival de Cannes 2010, Mesdames et Messieurs les Présidents et Coprésidents de la cérémonie Cinema against AIDS, La soirée annuelle « Cinéma contre le SIDA » se déroulera demain à l’Hôtel du Cap-Eden Roc au Cap d’Antibes, dans le cadre du festival de Cannes. Reporters sans frontières, organisation internationale de défense des journalistes, s’étonne de la présence de Gulnara Karimova à vos côtés, lors de cette 7e cérémonie. L’organisation reconnaît le caractère juste et louable de votre action, mais s’interroge quant à la pertinence de la participation, cette année, de la fille du président ouzbek, Islam Karimov, dictateur « émérite » d’Asie centrale. Si Reporters reconnaît l’importance de la prévention contre le SIDA et donc l’utilité de telles cérémonies, elle souhaite cependant rappeler à votre mémoire des faits quelque peu dérangeants et lourds de signification. La prévention contre le SIDA est essentielle, mais ne devrait pas se faire au détriment de valeurs fondamentales. Il y a quelques mois, un jeune militant, Maksim Popov, âgé de 27 ans, a été condamné à sept années d’emprisonnement pour avoir distribué de l’information sur la lutte contre le SIDA, virus faisant des ravages en Ouzbékistan comme ailleurs. Les brochures qu’il distribuait présentaient les moyens existants pour lutter contre la propagation du virus VIH. Ses publications ont été jugées, par le tribunal, « contraires à la mentalité, aux bases morales de la société, de la religion, de la culture et des traditions du peuple d’Ouzbékistan ». Rappelons également que l’homosexualité est un crime passible de trois ans d’emprisonnement dans ce pays ; et parler de préservatifs à un public qui ne serait pas majeur est un délit. Alors que le 10 mai, l’ONG AmfAR signait une pétition exigeant la libération de Maksim Popov, vous comptez aujourd’hui, au nombre de vos donateurs, Gulnara Karimova, la fille du président dont la justice est responsable de la condamnation de Maksim Popov. Auriez-vous une mémoire sélective lorsque l’on vous présente un financement conséquent ? Vos objectifs changent-ils ? N’est-ce pas une attitude contre-productive mais également absurde ? Reporters sans frontières tient à vous rappeler que le président Islam Karimov fait partie des « Prédateurs de la presse », liste que l’organisation publie chaque année le 3 mai. La situation des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme dans le pays est on ne peut plus précaire. 160e/175 pays au baromètre de l’organisation, l’Ouzbékistan compte actuellement onze journalistes dans ses prisons, où ils subissent souvent de mauvais traitements. Gulnara Karimova, en tant qu’Ambassadeur d’Ouzbekistan en Espagne et en Suisse, est donc la représentante officielle de son pays, la porte-parole de la politique menée âprement par son père depuis des années. En acceptant sa présence lors de la 7e cérémonie prochaine, Reporters sans frontières craint que vous ne donniez à ce pays une visibilité qu’il ne mérite en aucun point. Vous vous rendriez ainsi complices d’une politique répressive touchant non seulement ceux qui comme vous luttent contre le SIDA, mais aussi toux ceux qui, dans une des pires dictatures, subissent emprisonnement arbitraire et torture. Reporters sans frontières vous appelle à adopter une position ferme à l’égard de Gulnara Karimova en exigeant notamment que cette dernière prenne publiquement position en faveur de la libération de Maksim Popov, et de tous les défenseurs des droits de l’homme, journalistes compris, en détention. Ce signe serait en totale adéquation avec les objectifs de votre mobilisation, et serait certainement plus utile à la prévention du SIDA en Ouzbékistan que le maintien du militant en détention. Si Reporters sans frontières ne souhaite pas polémiquer davantage sur la corrélation existante entre contribution financière et aveuglement sur la situation réelle de l’Ouzbékistan, l’organisation souhaite tout de même insister sur le discrédit que cette affaire porterait à la cérémonie, à l’action d’AmfAR, et donc de ses membres, aussi prestigieux soient-ils. Sharon Stone, Giorgio Armani ou Elizabeth Taylor, pour ne citer qu’eux, sont-ils conscients du contexte politique ouzbek ? Approuvent-ils la politique menée à l’encontre des défenseurs des droits de l’homme et la répression de la prévention contre le SIDA ? Reporters sans frontières appelle ainsi toutes les personnes participant à la cérémonie à exiger de la part de Gulnara Karimova un pas significatif en faveur des détenus ouzbeks, ou à se retirer. Le festival de Cannes et l’association AmfAR deviendraient ainsi bel et bien les vecteurs du combat pour la liberté et la prévention du SIDA, et ne donneraient plus une tribune internationale au président Karimov et à sa dictature, par la présence de sa fille. Je vous remercie de l'attention que vous porterez à cette lettre, et vous prie d'accepter l'expression de ma très haute considération. Jean-François Julliard Secretary-General Liste des journalistes emprisonnés en Ouzbékistan : - Khayrullo Khamidov (Nawruz - radio), depuis le : 21 janvier 2010 - Dilmurod Sayid (Ezgulik) depuis le : 22 février 2009 - Bakhrom Ibragimov (Irmok) depuis le : 16 février 2009 - Davron Kabilov (Irmok) depuis le : 16 février 2009 - Ravshanbek Vafoev (Irmok) depuis le : 16 février 2009 - Abdulaziz Dadakhonov (Irmok) depuis le : 16 février 2009 - Botyrbek Eshkuziev (Irmok) depuis le : 16 février 2009 - Solidjon Abdourakhmanov (Journaliste indépendant) depuis le : 7 juin 2008 - Djamchid Karimov (journaliste indépendant, collaborateur des sites fergana.ru et centrasia.ru) depuis le : 12 septembre 2006 - Jusuf Ruzimuradov (Erk) depuis le : 15 mars 1999 - Mohammed Bekjanov (Erk) depuis le : 15 mars 1999
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Updated on 20.01.2016