Pakistan : le journaliste Hamid Mir censuré pour avoir dénoncé les violences perpétrées contre ses confrères

Présentateur de l’une des plus prestigieuses émissions de télévision du pays, le journaliste a été suspendu de ses fonctions après avoir demandé publiquement que soient identifiés les responsables des attaques qui ont récemment visé des confrères trop critiques. Reporters sans frontières (RSF) craint que ce climat de plus en plus dégradé pour la presse soit le signe d’un retour du Pakistan sur la voie de l’autocratie.

Suspendu d’antenne, sans autre forme de procès. Le célèbre journaliste pakistanais Hamid Mir, qui présente l'émission d’investigation et de débats quotidienne Capital Talk, sur la chaîne Geo News, est de fait exclu du programme depuis lundi, et ce jusqu’à nouvel ordre. Interrogé par RSF, le journaliste a confirmé que sa direction lui a notifié qu’il “ne serait plus à l’antenne” à compter du 31 mai inclus.


Contactée à son tour par RSF, une source au sein de la direction de la chaîne, qui s’exprime anonymement, a confirmé que le journaliste a été “contraint à des congés forcés”. Dans un communiqué officiel publié hier, mardi 1er juin, le groupe Geo/Jang, dont dépend Geo News, explique que “la rédaction et les avocats [du groupe] doivent étudier les éventuelles violations des règlements et de la loi” par son journaliste vedette, à la suite de ses récentes déclarations “qui ont entraîné des réactions défavorables dans plusieurs segments de la société”.


Derrière cet euphémisme, Hamid Mir a en réalité prononcé un discours vendredi 28 mai, lors d’un rassemblement organisé à Islamabad en soutien au journaliste Asad Ali Toor. Ce dernier a été attaqué à son domicile il y a une semaine, le mardi 25 mai, par trois hommes qui l’ont battu, torturé pendant plusieurs heures et menacé de mort. Des hommes qui se sont présentés, selon le reporter violenté, comme des membres de l’Inter-Services Intelligence (ISI), les redoutables services secrets pakistanais.


Nouvelle étape vers l'autocratie


C’est en se basant sur cette affirmation qu’Hamid Mir a demandé publiquement que l’on identifie les responsables des récentes attaques violentes qui visent les journalistes au Pakistan, désignant indirectement la toute-puissante institution militaire.


“Il est extrêmement préoccupant qu’un groupe de presse en soit réduit à censurer son journaliste vedette simplement parce que celui-ci a pris la défense de ses confrères contre les violences perpétrées par les forces de sécurité, regrette le responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF, Daniel Bastard. A travers son émission, Hamid Mir entretenait avec courage et abnégation la flamme de la démocratie et du pluralisme au Pakistan. Sa disparition des ondes marque une nouvelle étape dans le retour du régime actuel vers l'autocratie.”


Durant l’assaut qu’il a subi, Asad Ali Toor a été contraint de crier des slogans en faveur du Pakistan, de son armée et de l’ISI. Le journaliste, qui s’exprime essentiellement sur Internet, s’est rendu notamment célèbre pour sa défense de l’Etat de droit contre les abus des forces militaires et des services secrets.


En avril dernier, RSF dénonçait une autre attaque perpétrée contre le journaliste Absar Alam, connu lui aussi pour ses critiques de l'établissement militaire. Alors qu’il a été blessé par balle en pleine journée, au cœur de la capitale, Islamabad, aucun suspect n’a depuis été identifié. 


En juillet 2020, c’est le journaliste Matiullah Jan, célèbre pour ses analyses des institutions judiciaires et les tentatives de mainmise de l’armée, qui a été enlevé pendant une demi-journée. Durant sa séquestration, il a également été torturé et menacé de mort s’il continuait d’être critique dans ses activités journalistiques.


Pour sa part, Hamid Mir avait survécu in extremis à une tentative d’assassinat en avril 2014, alors qu’il se rendait dans les locaux de Geo News a Karachi. 


Le Pakistan occupe la 145e place sur 180 pays dans l’édition 2021 du Classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF.

Publié le
Updated on 08.06.2021