Mort du journaliste Samuel Wazizi au Cameroun : RSF dénonce des explications “indécentes et inacceptables”
Reporters sans frontières (RSF) dénonce le simulacre d’explications autour de la mort du présentateur télé confirmée par les autorités et demande l’ouverture d’une enquête impartiale et indépendante pour établir les faits sur les circonstances précises ayant conduit au décès du journaliste quelques jours seulement après son arrestation et sa détention au secret en août 2019.
Le communiqué lu ce vendredi 5 juin sur les ondes de la radiotélévision publique camerounaise (CRTV) et signé du chef de la communication du ministère de la Défense est très loin de fournir des réponses crédibles aux questions qui entourent la mort du journaliste Samuel Wazizi. Si les autorités reconnaissent enfin, 10 mois après les faits, la mort du présentateur de la chaîne régionale Chillen Media Television (CMTV), les explications ne tiennent pas. Officiellement, le décès résulterait selon elles “des suites d’une sepsis sévère” et non d’un “quelconque acte de torture”. Le message précise que le journaliste est décédé à l’hôpital militaire de Yaoundé le 17 août 2019, soit quatre jours après son transfert dans la capitale politique du pays. Le ministère affirme également que la famille qui était “en contact étroit” avec lui pendant son séjour à l’hôpital avait été “informée” de son décès.
Joint par RSF l’un des frères de Samuel Wazizi a catégoriquement démenti cette version, affirmant qu’à l’instar des autres membres de la famille et des avocats du journaliste, il n’avait jamais eu le moindre contact avec lui depuis qu’il avait été récupéré par les militaires le 7 août 2019. Aucun membre de la famille n’a par ailleurs reçu la moindre confirmation de sa mort. Le frère du journaliste a également précisé que le journaliste était en “parfait état de santé” au moment de son arrestation.
RSF a pu consulter plusieurs photos du journaliste prises à Yaoundé le 13 août 2019. Il y présente de nombreuses blessures et inflammations au niveau d’un pied, d’une main et d’une épaule qui permettent légitimement de soupçonner des actes de torture infligés dans les jours précédents.
Depuis le tout début de l’affaire, les avocats de Samuel Wazizi ont également demandé de manière continue un accès à leur client et les faits qui lui étaient reprochés sans jamais recevoir l’information que le journaliste était décédé.
Le journaliste avait été arrêté le 2 août 2019 par la police de Muea dans la région anglophone du Sud-Ouest avant d’être récupéré par le 21e bataillon d’infanterie motorisée de Buéa, la capitale de la région, le 7 août. Selon l’enquête menée par RSF, l'avocat du journaliste Emmanuel Nkea est l’une des dernières personnes à l’avoir vu vivant. Samuel Wazizi lui avait alors confié que son arrestation était liée à des propos critiques qu’il avait tenus sur sa chaîne concernant la gestion de la crise anglophone au Cameroun. Depuis cette date, ni les membres de la famille, ni même ses avocats n’ont pu entrer en contact avec le journaliste.
“Les explications fournies par les autorités camerounaises sont indécentes et inacceptables en l’état, dénonce Arnaud Froger, responsable du bureau Afrique de RSF. La famille du journaliste n’a jamais été informée de son décès. L’émotion de son frère joint par notre organisation était d’ailleurs perceptible au téléphone lorsqu’il a réalisé que cette information était désormais officielle. Quand aux circonstances de la mort du journaliste, elles méritent une enquête impartiale et indépendante impliquant une autopsie de son corps. Samuel Wazizi était bien portant au moment de son arrestation. Compte tenu des nombreuses zones d’ombres, des explications tardives et très peu crédibles fournies jusqu’à présent, seule des investigations supplémentaires et transparentes permettront de connaître la vérité."
Le Cameroun a perdu trois places et occupe désormais la 134e position sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse établi en 2020 par RSF.