Malte: trois ans après l’assassinat de Daphne Caruana Galizia, l’enquête piétine et les réformes se font toujours attendre
Trois ans après l’assassinat de la journaliste maltaise, la quête de justice reste entière et des réformes essentielles n’ont toujours pas été engagées par le gouvernement. Reporters sans frontières (RSF) réitère son appel à ce que justice soit rendue pour Daphne Caruana Galizia et à la mise en œuvre immédiate de mesures pour garantir une plus grande liberté de la presse sur l’archipel.
Ce vendredi 16 octobre marque le troisième anniversaire de l’assassinat de la journaliste Daphne Caruana Galizia et se déroule dans un climat toujours aussi inquiétant pour la liberté de la presse, et alors que l’absence de réformes essentielles se fait de plus en plus sentir. Les commanditaires et les exécutants présumés de cette attaque n’ont toujours pas comparu devant la justice, et le Premier ministre Robert Abela, qui a pris ses fonctions il y a 10 mois, a même tenté d’entraver l’enquête en cours.
« Cela fait trois ans et c’est beaucoup trop long : l’impunité pour l’assassinat de Daphne Caruana Galizia n’a que trop duré. Tout comme n’a que trop duré l’absence de réformes pour pallier les grands manquements systémiques que ce crime terrible a révélé, déclare la directrice des campagnes internationales de RSF, Rebecca Vincent. La communauté internationale a clairement identifié les mesures à prendre. Aujourd’hui, elle doit agir pour exiger du gouvernement maltais de les mettre en œuvre, et ce sans délai. Laisser l’impunité s’installer au cœur de l’Union européenne, c’est laisser la porte ouverte à d’autres attaques contre les journalistes. Il est temps d’envoyer un signal sans équivoque : cela ne se reproduira plus ni au sein de l’UE, ni ailleurs. »
Pour marquer le deuxième anniversaire de cette tragédie, RSF et le site d’information indépendant The Shift avaient publié un rapport détaillé sur les manquements des autorités maltaises à la suite de l’assassinat de la journaliste, ainsi que sur les recommandations internationales pour pallier les problèmes systémiques ayant permis cette attaque et pour que justice soit rendue. Un an plus tard, elles restent largement ignorées, à l’exception du lancement d’une enquête publique – une avancée remportée de haute lutte grâce à la pression internationale et la fixation d’une échéance par une résolution clé de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe en juin 2019.
Il reste que l’indépendance et l’impartialité de cette enquête publique sont aujourd’hui menacées. Le Premier ministre Robert Abela a tenté d’entraver le travail de la commission d’enquête en lui imposant un calendrier limité dans le temps. Ainsi, depuis 10 mois qu’il est en poste, M. Abela a montré que son administration est bien décidée à marcher dans les pas de son prédécesseur, Joseph Muscat. Ce dernier a été contraint à la démission après que la société civile a manifesté en masse pour protester contre les développements de l’affaire Caruana Galizia. Il a également, finalement, présenté sa démission au Parlement, le 5 octobre dernier.
Lors d’un déplacement à Malte en juillet dernier à la faveur de la levée des restrictions dues à la crise sanitaire, RSF a rencontré des journalistes de plusieurs organes de presse indépendants. Ils ont rapporté les profondes divisions qui minent la communauté médiatique maltaise et le fait qu’au fond, et en dépit des réformes superficielles engagées par M. Abela – l’arrêt des dégradations continuelles que subit le mémorial de Mme Caruana Galizia à La Valette, par exemple -, rien n’a changé. Et bien que M. Abela n’apparaît pas si ouvertement hostile envers les médias que l’était son prédécesseur, les journalistes font état de difficultés croissantes pour accéder à l’information ou aux responsables du gouvernement.
Certains ont également critiqué le manque de transparence de l’aide financière apportée aux organes de presse par la nouvelle administration en réponse à la crise du Covid-19. Selon des rapports dont RSF a pu prendre connaissance, le gouvernement aurait tenté d’influencer la politique éditoriale de certaines publications ayant accepté ces subsides et autres accords publicitaires.
Entretemps, l’enquête sur l’assassinat de Daphne Caruana Galizia piétine. Les tueurs à gage Alfred Degiorgio, George Degiorgio et Vincent Muscat, en détention depuis décembre 2017, n’ont toujours pas comparu devant un tribunal. L’intermédiaire et témoin clé Melvin Theuma, qui s’est livré de lui-même à la justice, a dû être hospitalisé en juillet dernier après avoir été grièvement blessé – il a notamment eu la gorge tranchée. Des preuves continuent d’être rassemblées contre le commanditaire présumé, Yorgen Fenech, dont les avocats arguent qu’il ne bénéficiera pas d’un procès équitable et que les « vrais responsables » sont toujours dans la nature.
RSF réitère son appel pour que justice soit pleinement rendue pour l’assassinat de Daphne Caruana Galizia, à savoir que toute personne impliquée de quelque manière que ce soit dans cette affaire soit identifiée et poursuivie dans le plein respect de la loi : tous les exécutants, tous les intermédiaires et tous les commanditaires. D’importantes mesures sont à prendre dans ce sens, dont la protection de l’indépendance et de l’impartialité de l’enquête publique en cours et la proposition d’assistance par une équipe commune d’enquête d’Europol. RSF appelle également à la mise en œuvre, sans délai, de recommandations clé internationales pour pallier les plus larges manquements systémiques dont souffre Malte – à commencer par celle de la résolution de juin 2019 de l’Assemblée parlementaire du Conseil européen.
Malte a perdu 34 places au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF depuis l’assassinat de Daphne Caruana Galizia, et se situe, en 2020, à la 81e place sur 180 pays.
A noter :
- RSF marquera cet anniversaire par des veillées à Londres et à Berlin, ainsi que par des événements en ligne, en raison des restrictions sanitaires dues à l’épidémie de Covid-19 et l’impossibilité de se rendre à Malte.
- Contact presse : Rebecca Vincent, +44 (0)207 324 8903 ou [email protected]