L'Ukraine confirme son basculement autoritaire

Dans la soirée du 17 janvier 2014, le président Viktor Ianoukovitch a promulgué la loi n°3879, adoptée la veille par le parlement en violation des procédures de vote (voir ci-dessous). « La communauté internationale doit prendre toute la mesure de ce tournant : en promulguant des amendements qui restreignent drastiquement la liberté de l'information et d'autres libertés fondamentales pourtant garanties par la Constitution, le Président de la République acte le brutal basculement antidémocratique de l'Ukraine. Ce mépris pour la société civile ne fait qu'attiser les tensions à l’œuvre dans la société. L'annulation de la loi n°3879 doit faire partie intégrante de tout plan de sortie de crise », a déclaré Reporters sans frontières. ---------- 16.01.2014 - Le pays va-t-il enterrer la liberté de l'information ? Reporters sans frontières exprime sa consternation après l'adoption à la hâte par le parlement ukrainien d'un train de lois liberticide, qui copie certaines des dispositions les plus répressives de la législation russe. Les amendements introduits le 16 janvier 2014 par la loi n°3879, entre autres choses, pénalisent la diffamation et facilitent le blocage de sites Internet sans décision de justice. Ils créent un statut d'« agents de l'étranger » pour les ONG de défense des droits de l'homme recevant des financements internationaux. Le texte de 130 pages comprend de nombreuses autres dispositions limitant les libertés d'expression et de rassemblement. « Nous appelons instamment le président de la République Viktor Ianoukovitch à ne pas promulguer cette loi, qui marque une étape décisive dans la dérive antidémocratique du pays. Le texte, taillé sur mesure pour contrer la vague de manifestations d'opposition déclenchée début décembre, multiplie les restrictions abusives à la liberté de l'information et à d'autres libertés fondamentales. La façon dont il a été adopté par le parlement, en violation patente des procédures de vote, souligne le constat d'une attaque majeure contre la société civile », a déclaré Reporters sans frontières. Le 16 janvier 2014, le parlement ukrainien a adopté la loi n°3879 à mains levées et sans débat, en lieu et place du vote électronique habituel. Le texte, « amendant la loi sur l'appareil judiciaire et le statut des juges et prévoyant des mesures supplémentaires pour protéger la sécurité des citoyens », n'avait été déposé que l'avant-veille par deux députés du Parti des régions (au pouvoir). Il réintroduit dans le code pénal un article (151-1) sur la diffamation. Lorsqu'il est commis dans les médias ou sur Internet, ce délit est passible d'une amende comprise entre 50 et 300 fois le revenu minimum, de 150 à 240 heures de travaux d'intérêt général, ou d'une retenue sur salaire pendant un an. Mais avec des circonstances aggravantes, la sanction peut aller jusqu'à deux ans d'emprisonnement. De telles peines sont clairement disproportionnées et contraires à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, tel qu’interprété par la Cour de Strasbourg. L’expérience internationale a démontré qu’engager la responsabilité pénale des auteurs de délits de presse, qui plus est en prévoyant des peines de prison, contribuait à installer un climat d’intimidation propre à décourager les journalistes d’aborder les sujets sensibles. « Le retour de la diffamation dans le code pénal représente pour l'Ukraine un bond de treize ans en arrière. A contre-courant d’une évolution mondiale, le pays se place en violation patente des conventions internationales qu’il a ratifiées, à commencer par la Convention européenne des droits de l’homme et le Pacte international sur les droits civils et politiques », a rappelé Reporters sans frontières. La diffamation est dépénalisée en Ukraine depuis janvier 2001. Une première tentative de revenir sur cet acquis démocratique avait été évitée de justesse en octobre 2012, suite à un concert de protestations de la société civile et de la communauté internationale. Le ministère des Affaires étrangères ukrainien avait répondu aux préoccupations exprimées par Reporters sans frontières en réaffirmant son attachement à la liberté de l'information et aux standards européens. La loi n°3879 introduit des peines de prison pour la diffusion d'informations « extrémistes », sans définition claire de cette notion. La collecte et la diffusion d'informations personnelles (noms, visages, conditions de vie, etc) sur des juges, des policiers ou des membres des forces spéciales devient également un délit passible de trois ans de prison. L'activité des agences de presse en ligne est plus étroitement réglementé. Le blocage de sites Internet par les autorités, sans décision de justice, est facilité. Le texte importe aussi les dispositions controversées que la Russie applique depuis 2012 aux ONG de défense des droits de l'homme. Les organisations qui ont pour but « d'influencer les décisions étatiques, de changer les politiques gouvernementales ou de former l'opinion publique », et qui reçoivent des financements internationaux, seront désormais contraintes de s'enregistrer en tant qu'« agents de l'étranger ». Cette qualification infamante, synonyme d'espion dans d'espace post-soviétique, se double d'obligations réglementaires et financières très strictes dont la violation entraîne de lourdes sanctions. En outre, les ONG « agents de l'étranger » ne peuvent plus être reconnues comme des associations d'utilité publique, et doivent donc s'acquitter des mêmes taxes que les entreprises. (Photo : Ukraïnska Pravda)
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Updated on 20.01.2016