L'information en Afghanistan, la guerre et maintenant le Covid-19

Alors que le Coronavirus se propage en Afghanistan, Reporters sans frontières (RSF) et le Centre pour la protection des journalistes afghanes (CPAWJ) expriment leur inquiétude quant à la situation des journalistes du pays et en particulier des femmes journalistes, plus vulnérables. La précarité, le manque de protection et la concurrence féroce entre médias dans la course à l’info sont autant de facteurs qui exposent les reporters au danger.

Bien que le gouvernement afghan ait mis en place des mesures sanitaires tel que le confinement imposé dans certaines villes ( Kaboul, Kandahar) et que certains médias aient désormais recours au télétravail,  le virus continue de se propager sur le terrain et les journalistes y sont souvent exposés. Des difficultés auxquelles s’ajoutent des problèmes économiques qui contraignent de nombreux médias à se séparer de leurs collaborateurs ou à recourir au chômage partiel (sans compensation financière). Les femmes journalistes sont souvent les premières victimes de ces mesures. Dans plusieurs provinces (Kaboul, Herat et Balkh), certaines se sont vues proposer du bénévolat tandis que d’autres ont été licenciées.


Propagation dans pays


Le 30 mars, le ministère de la Santé a répertorié 196 cas positifs de Covid-19, dont 106 à Hérat et fait état d’au moins 5 morts. Des chiffres largement sous-estimés selon les journalistes locaux. En effet, l’OMS estime que l’Iran étant devenu l’un des principaux foyers de l’épidémie et ses hôpitaux refusant de soigner des Afghans en situation irrégulière, plus de 70 000 réfugiés Afghans seraient revenus dans leur pays d’origine via les deux provinces d’Hérat et de Nimroz à la date du 20 mars.


Le système de santé afghan repose essentiellement sur les fonds alloués par l’aide publique américaine au développement (USAID), la Banque mondiale, et la Commission européenne. Or, les Etats-Unis ayant conditionné l’attribution de leur aide au gouvernement afghan à un effort en matière de paix, dans le contexte politique actuel, le système de santé est encore plus fragilisé.


Pour les femmes, la double peine 


« Les femmes journalistes sont les premières victimes du climat d’insécurité et de la guerre, elles sont aussi celles qui sont le plus exposées au Covid-19 d’autant qu’elles sont privées de ressources pour se soigner, dénonce Farida Nekzad, la directrice du CPWAJAlors que le 8 mars 2020, nous avions recensé 1 741 femmes travaillant dans l'ensemble des médias dont 1139 sont des journalistes professionnelles, les autorités doivent tout mettre en oeuvre pour qu’elles puissent continuer d’être aussi nombreuses à exercer leur mission d’information. »


Des mesures de protection spécifiques aux femmes ont été prises dans plusieurs médias comme à Tolo News la plus grande chaîne d’information afghane. “Notre mission est d'informer correctement la population pour mieux lutter contre la propagation du Covid-19, explique Lotfullah Najafizadeh, le directeur de ToloNews. De fait, près de 30% des effectifs qui ne sont pas en relation directe avec l'information sont passés en télétravail tandis que les femmes enceintes et jeunes mères ont été incitées à suspendre leur activité. Nous avons formé des journalistes sur la façon de travailler en respectant les mesures d'hygiène et avons distribué des masques et  du gel désinfectant. Le tout sans aucune aide du gouvernement.


Des mesures similaires ont été adoptées  au sein de la chaîne privée Zan ( Femme) dont la rédaction est désormais en télétravail. Plusieurs médias internationaux ont néanmoins été contraints de diminuer leurs effectifs, notamment dans les provinces, et les femmes journalistes ont été les premières touchées par les mesures d’économie et les licenciements.


L’information coûte que coûte


Le virus n’a pas entamé la détermination de Danish Karokhel, le directeur de Pajhwok Afghan News, confiné avec 15 autres collaborateurs pour assurer l’information depuis le siège de son agence : “Malgré ces difficultés économiques engendrées par l’épidémie, nous continuons notre travail. La plupart des journalistes sont en télétravail et nous poursuivons les échanges via WhatsApp et les autres outils de partage d’information. Même schéma dans les régions où seuls les correspondants indispensables se rendent sur le terrain. Nous sommes parvenus à acheter du matériel de protection pour nos journalistes, mais avons aussi été contraints d’en mettre d’autres au chômage, sans contrepartie salariale. "


Pour enrayer la propagation, le président Mohammad Ashraf Ghani a annoncé le 28 mars, la mise en œuvre d’un confinement à Kaboul et dans certaines grandes villes du pays comme à Hérat, épicentre de l’épidémie.


“L’une des priorités du gouvernement est d’offrir une information transparente et  d’empêcher de cacher la vérité sur la propagation, a déclaré Sarwar Danesh, le vice-président de la République islamique d’Afghanistan. C’est pour cette raison que nous avons créé le comité extraordinaire de lutte contre le Covid-19, une structure composée de plusieurs organes gouvernementaux associant également le secteur privé. Sa mission est de fournir de l’information aux médias et aux réseaux sociaux, lesquels ont un rôle crucial dans cette crise. Pour pallier l’interdiction de couverture et éviter les rassemblements, le gouvernement met des vidéos à la disposition des médias ou s’exprime par téléconférence."


Alors que les journalistes afghans luttent sans relâche depuis 19 ans pour informer malgré la guerre, ils doivent désormais lutter contre l’autre fléau que représente ce virus, déclare Reza Moini, responsable du bureau Afghanistan/Iran de RSF. Il est urgent de leur donner les moyens d’assurer leur mission afin qu’ils puissent continuer de rendre compte des négociations pour la paix et de la réalité de la pandémie dans le pays”.


Les recommandations :

  • Aux médias et aux journalistes

- Garantir le droit du public à une information de qualité, complète, indépendante et pluraliste, inscrite dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme et la nécessité d’une bonne circulation de l’information pour protéger les populations.


- Protéger les équipes sur le terrain, les munir de gels hydro alcooliques, de lingettes pour nettoyer les postes de travail, de masques protecteurs, de gants, afin que les journalistes puissent exercer leur mission d’information, en restant en bonne santé et sans propager le virus.


- Leur fournir du cellophane ou du tissu protecteur pour les micros, ainsi que des perches de son pour respecter les distances avec les personnes interviewées ; favoriser le déploiement d’équipes « autonomes » afin de limiter les allers-retours au siège,  réserver du matériel de tournage à une seule équipe ; interdir les micros-cravates – car ils se positionnent trop près de la bouche de l’interlocuteur – au profit du DO21, un petit micro que l’on désinfecte après utilisation, mais aussi recommander l’utilisation d’applications vidéos comme Facetime ou Skype pour faire des interviews. Dans tous les cas respecter les règles strictes des gestes barrières.


- Aucun journaliste n’est contraint d’être envoyé en reportage sans les conditions de sécurité nécessaires. Il peut alors exercer son droit de retrait, s’il estime qu’il y a un danger pour lui et pour autrui et les responsables des médias doivent respecter cette décision. 


- Une visite par le service médical du média doit être impérativement mise en place pour les équipes dépêchées dans les endroit suspectés d’infection. Le but : vérifier que le personnel est apte. Autrement dit, qu’il n’est pas atteint d’asthme ou n’est pas diabétique et ne souffre pas d’un rhume.


- Chaque journaliste est tenu d’appliquer les règles de déontologie qui s’imposent aux journalistes, particulièrement dans cette période où les « fausses informations » risquent d’entraîner de graves problèmes.

  •  Au gouvernement

- Assurer une information transparente et complète aux médias.


- Mettre des moyens exceptionnels à la disposition des médias pour qu’ils puissent exercer leur mission d’information, notamment l’aide économique aux médias en difficulté, annuler les impôts pour l’année en cours, et assurer les salaires des journalistes en chômage partiel, surtout pour les femmes journalistes qui sont doublement victimes de cette situation.


- Augmenter le débit et la bande passante d’internet pour assurer une connexion régulière pour les journalistes et les médias , à un tarif abordable.


- Mettre à la disposition des médias des masques, gel hydroalcoolique et des lingettes. 


L’Afghanistan se situe à la 121e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2019 établi par RSF.

 

Publié le
Mise à jour le 02.04.2020