Les juges de Rostov-sur-le-Don ciblent les journalistes

Les libérations de Mikhaïl Khodorkovski, des Pussy Riots et des activistes de Greenpeace ne doivent pas faire oublier les menaces qui continuent de peser en Russie sur les libertés fondamentales. Reporters sans frontières s’alarme notamment de l’acharnement judiciaire qui vise les journalistes critiques des autorités de Rostov-sur-le-Don. Le célèbre journaliste et blogueur Sergueï Reznik a récemment été condamné à 18 mois de camp de travail, alors que son collègue Alexandre Tolmatchev est en détention provisoire depuis deux ans. Sergueï Reznik, 37 ans, s’est illustré par plusieurs articles publiés dans le journal Ioujny Federal’ny, dans le journal en ligne Novaïa Gazeta v Ioujnom Federal’nom et sur son blog, critiquant les autorités locales et dénonçant la corruption généralisée. Le 26 novembre 2013, la Cour du district de Pervomaïski de Rostov-sur-le-Don l’a jugé coupable de « corruption, fausse déclaration et outrage au représentant de l’Etat », au sens des articles 204§2-b, 306§-3 et 319 du Code pénal de la Fédération de Russie. Il était simultanément accusé d’avoir offert 2 000 roubles à un garagiste pour obtenir une attestation de bon état de sa voiture ; d’avoir inventé les menaces téléphoniques qu’il avait préalablement déclarées à la police ; et d’avoir insulté un magistrat sur son blog. « Il est incompréhensible que la justice puisse se prononcer en même temps sur trois chefs d’accusation aussi différents. L’arrêt souffre de nombreux vices de procédure et de fond. L’imputation de fausse déclaration de menaces est manifestement infondée, étant donné que le 22 octobre 2013 le journaliste a été victime d’une violente agression, qui lui a valu d’être hospitalisé. L’opacité de ce procès est intolérable et il démontre que la condamnation de Reznik s’apparente plutôt à une mesure de représailles liée à ses articles », a déclaré Reporters sans frontières. Dans l’attente d’un jugement en appel, le journaliste demeure en détention provisoire. De nombreuses manifestations ont été organisées pour le soutenir et une pétition dénonçant l’acharnement des autorités pour le réduire au silence a récolté plusieurs centaines de signatures. Dans la même localité, le rédacteur en chef du magazine Oupolnomotchen Zaïavit’ et du journal Pro Rostov, Aleksandr Tolmatchev, âgé de 58 ans et souffrant de graves problèmes de santé, se trouve lui en prison depuis quasiment deux ans, en attente d’un jugement définitif. Le 20 décembre 2011, alors qu’il venait d’être innocenté dans une affaire de diffamation, il a été arrêté pour chantage, sur le fondement des articles 91 et 159 du Code pénal russe. Il est accusé d’avoir tenté d’extorquer un million de roubles à un entrepreneur de Novotcherkassk, le menaçant de diffuser des informations compromettantes à son égard. Arguant que son activité de journaliste pourrait influencer les développements de l’affaire, les juges ont décidé de le garder en détention provisoire et de le maintenir en isolement. Depuis, sa détention a été prolongée mois après mois et les audiences de son procès plusieurs fois reportées, alors que son état de santé s’est sérieusement détérioré. La prochaine audience est prévue pour le 4 février 2014. « Il est difficile de comprendre ces prolongations réitérées de la détention provisoire d’Alexandre Tolmatchev autrement que comme une mesure répressive. D’autant plus que l’enquête s’est terminée depuis plusieurs mois et que le journaliste souffre de sérieux problèmes de santé. Pourquoi ne peut-il être placé en liberté surveillée pour suivre un traitement approprié tout en se rendant aux convocations de la justice ? En outre, la prise en charge du dossier judiciaire de Tolmatchev par les mêmes individus que le journaliste critiquait dans ses écrits constitue une violation manifeste de son droit à un procès équitable », a souligné Reporters sans frontières. Aleksandr Tolmatchev jouit d’une grande renommée dans la région, en raison de ses articles et de son combat contre la corruption, la mafia et les malversations des autorités judiciaires et politiques locales. La mobilisation sociale autour de son cas est très importante et des manifestations sont régulièrement organisées pour réclamer sa libération. La Russie figure au 148ème rang sur 179 du classement mondial de la liberté de la presse 2013 établi par Reporters sans frontières. (Photo : Ioujny Federal’ny)
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Mise à jour le 20.01.2016