Les journaux indépendant du Nicaragua de nouveau alimentés en papier, “un répit provisoire”dénonce RSF

Après 18 mois de blocage arbitraire, RSF se félicite de la décision de la direction des douanes du Nicaragua de débloquer les stocks d’encre et de papier des deux derniers journaux indépendants du pays. Ce répit provisoire ne doit pas faire oublier la réalité de la censure d’Etat qui s'abat contre la presse nicaraguayenne depuis 2018.

Grâce à la médiation du représentant du Vatican au Nicaragua*, le Nonce apostolique Stanislaw Waldemar Sommertag, la direction générale des douanes a finalement accepté le 7 février 2020 que les matières premières, dont plus de 94 tonnes de papier réservées au groupe La Prensa et stockées sur le territoire depuis 18 mois, soient débloquées


Le groupe La Prensa a immédiatement dépêché des équipes pour vérifier l’état des stocks. Ces inspections ont permis de découvrir qu’une partie du papier, contaminée par des mites, devait être placée en quarantaine et sera probablement inutilisable. L’ensemble du stock a cependant pu être récupéré ce dimanche 9 février par le groupe, à son plus grand soulagement. 


Sans explication particulière, le gouvernement du président Daniel Ortega avait interdit en septembre 2018, à la presse privée nicaraguayenne de s'approvisionner en encre, papier et caoutchouc, indispensables à la fabrication des journaux. Cette mesure a entraîné la disparition de la plupart des journaux imprimés du pays, comme ce fût le cas pour El Nuevo Diario qui a du fermer ses portes en septembre 2019, après 40 ans d’activité.


 Les derniers journaux survivants, les quotidiens La Prensa (fondé en 1926) et Hoy, tous deux édités par le Grupo Editorial La Prensa, ont dû réduire drastiquement la taille de leurs éditions - de 36 à 8 pages pour La Prensa -,  afin d’économiser au maximum le papier en stock. Ils ne sont plus distribués que dans 4 des 17 districts du pays. Dans un éditorial publié le 27 janvier 2020, intitulé “La dictature étrangle La Prensa’, le conseil d’administration du journal expliquait qu’en raison de cette censure administrative, les jours de La Prensa étaient désormais comptés.


“Le déblocage des matières premières indispensables à la fabrication des journaux du groupe La Prensa est un signal encourageant,  se félicite le directeur du bureau Amérique latine de RSF, Emmanuel Colombié.  Cette décision n'offre cependant qu'un répit provisoire aux deux derniers journaux du pays. RSF appelle l'administration du président Ortega à mettre fin à tout type de censure administrative, dont les conséquences pour l'ensemble de la société nicaraguayenne sont désastreuses, et au strict respect des engagements internationaux du Nicaragua, ce qui implique de garantir et de protéger la liberté de la presse.”


Depuis avril 2018 et l’aggravation de la crise politique, les attaques contre la presse indépendante du Nicaragua se multiplient : saisies de matériel, perquisitions sans mandat, arrestations arbitraires etc. Les locaux des médias Confidencial, 100% Noticias Niú et Esta Semana sont notamment bloqués et encerclés par la police depuis le mois de décembre 2018. Les journalistes nicaraguayens sont régulièrement victimes de campagnes de harcèlement et même de menaces de mort, au point que certains ont préféré s’exiler.


Face à ces pressions, les journaux nicaraguayens tentent de se réorganiser sur Internet, mais  dans un pays où à peine 20 % de la population y a accès – le taux le plus bas en Amérique centrale – la publication en ligne ne permet pas de survivre.


Dans le rapport d’enquête intitulé ‘Ces journaux qui n’arrivent jamais”, publié en 2019, RSF révèle comment des Etats, ou de puissants oligarques et groupes privés, entravent la distribution de la presse, en limitant notamment la fourniture de matières premières. Cette organisation de la pénurie de matière première pour la presse critique à l’égard du pouvoir est directement inspirée des méthodes vénézuéliennes.


Le Nicaragua est classé 114e au Classement mondial de la liberté de la presse 2019 publié par RSF.


*Au Nicaragua, depuis l’aggravation de la crise politique en 2018, l’Eglise catholique joue le rôle de médiateur entre le gouvernement, la société civile et l’opposition




Publié le
Updated on 10.02.2020