Les journalistes turcs emprisonnés bientôt contraints de porter un uniforme stigmatisant

Un décret-loi publié en Turquie le 24 décembre 2017 prévoit d’imposer un uniforme spécifique aux prisonniers accusés de liens avec le terrorisme ou la tentative de putsch de juillet 2016. Reporters sans frontières (RSF) dénonce une disposition arbitraire, qui frappera des dizaines de journalistes au mépris de la présomption d’innocence.

Une double peine : jetés en prison sous le coup d’accusations gravissimes, des dizaines de journalistes turcs seront bientôt obligés de porter un uniforme stigmatisant pour aller se défendre au tribunal. Le décret-loi N°696, paru au Journal officiel le 24 décembre, prévoit le port obligatoire d’un uniforme brun pour les prisonniers accusés d’implication dans la tentative de putsch de juillet 2016 et d’un uniforme gris pour ceux qui sont sous le coup de la loi antiterroriste.


Ces chefs d’accusation, définis de manière extrêmement vague et large, sont systématiquement brandis contre les victimes de la purge qui s’abat depuis un an et demi sur la société turque, y compris les journalistes. D’après les premières estimations, le décret-loi pourrait concerner plus de 58 000 détenus. Plus d’une centaine de journalistes sont actuellement emprisonnés en Turquie, dont au moins quarante du fait de leurs activités professionnelles, selon un décompte provisoire de RSF. Malgré l’absence de preuves solides, la quasi-totalité d’entre eux est accusée d’appartenance à une organisation terroriste ou d’implication dans la tentative de putsch. La grande majorité est encore en détention provisoire.


“Cette mesure ne vise qu’à humilier, intimider et stigmatiser les détenus concernés, dénonce le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire. Au mépris de la présomption d’innocence, les journalistes emprisonnés seront ainsi assimilés aux putschistes responsables du bain de sang du 15 juillet 2016. Nous demandons l’abrogation immédiate de ce décret-loi, qui participe de la dérive de la justice turque vers un instrument de vengeance politique.”


Les nouvelles dispositions doivent être mises en œuvre d’ici un mois, dès que le ministère de la Justice aura préparé les décrets d’application. Les détenus devront porter l’uniforme lors de leurs apparitions publiques, au moment de leur procès. Les femmes enceintes et les enfants en seront exemptés. Il est probable que de nombreux prisonniers refusent de le porter, avec des conséquences inconnues, comme leur exclusion du tribunal. Dans les années 1980, l’obligation de porter un uniforme avait entraîné des vagues de grèves de la faim qui avaient fait plusieurs victimes parmi les prisonniers politiques turcs.


Le retour de cette mesure était dans l’air depuis six mois : à la suite de l’interpellation médiatisée d’un ancien soldat vêtu d’un tee-shirt portant l’inscription “Hero”, en juillet 2017, le président Erdoğan avait promis que les personnes suspectées de “crimes contre l’État” seraient prochainement déférés au tribunal dans un uniforme rappelant celui des prisonniers de Guantanamo.


La Turquie est classée 155e sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi en 2017 par RSF. Déjà très préoccupante, la situation des médias est devenue critique sous l’état d’urgence proclamé à la suite de la tentative de putsch du 15 juillet 2016 : près de 150 médias ont été fermés, les procès de masse se succèdent et le pays détient le record mondial du nombre de journalistes professionnels emprisonnés.

Publié le
Mise à jour le 28.12.2017