Les accusations de lèse-majesté se poursuivent en Thaïlande

Reporters sans frontières regrette que le nouveau gouvernement thaïlandais trahisse les principes qu’il a lui même affirmés, à savoir l'arrêt du recours abusif au crime de lèse-majesté pour censurer et emprisonner les journalistes, blogueurs et net-citoyens, dont les articles et les posts sont jugés gênants ou trop critiques par les plaignants. Reporters sans frontières s’inquiète de la réelle volonté du nouveau gouvernement de mettre en oeuvre la politique du Premier ministre Yingluck Shinawatra qui, peu après sa victoire aux élections du 3 juillet 2011, affirmait que "le crime de lèse-majesté ne (doit) pas (être) utilisé de façon inappropriée”. En contradiction avec cette déclaration, le 26 août, le vice-Premier ministre Chalerm Yubamrung, a affirmé que “la première chose à laquelle (il) doit (s)’attaquer, en urgence, sont ces sites de lèse-majesté. Ils ne sont pas autorisés sous ce gouverrnement”. Le Premier ministre cautionne-t-elle la direction prise par le gouvernement ? L’organisation exige l’abandon des charges pesant sur les net-citoyens, détenus pour “insulte à la monarchie” et réitère sa demande de révision des lois condamnant le lèse-majesté. Nous voulons encore croire que la nouvelle direction du pays rompra avec les habitudes du passé. Une vraie démocratie ne peut que reposer sur le pluralisme et la liberté d’expression. Un gouvernement tout aussi répressif que le précédent ? Surapak Phuchaisaeng, un net-citoyen thaïlandais âgé de 40 ans, a été arrêté le 2 septembre 2011, à Bangkok. Il a été accusé de lèse-majesté après avoir posté des photos, des vidéos et des messages sur Facebook. Sur le blog thaienews, l’utilisateur “mmmp” affirme que le réseau social aurait lui-même donné les informations nécessaires à son arrestation. Contacté par Reporters sans frontières, Facebook a affirmé n’avoir reçu aucune requête concernant Surapak Phuchaisaeng. Celui-ci pourrait également être inculpé pour violation du Computer Crime Act. Sa demande de mise en liberté provisoire a été rejetée. Le correspondant de Reporters sans frontières a pu rencontrer le net-citoyen en prison, le 9 septembre 2011 et observer ses conditions de détention. Surapak Phuchaisaeng dépend de sa famille pour manger à sa faim ; il n’a à ce jour reçu aucune visite. Au cours de cette visite, notre correspondant a également pu s’entretenir avec Thanthawut Thaweewarodomkul, condamné en mars 2011 à 13 ans de prison pour lèse-majesté. En attente de son appel, il est détenu dans une cellule de 25 m² avec une trentaine de prisonniers,  dans des conditions d’hygiène déplorables. Il a affirmé avoir été agressé par d’autres prisonniers en raison des charges pesant contre lui. Une répression systématique Le 3 août 2010, Ampon Tangnoppakul a été arrêté pour les mêmes motifs. Il est accusé d’avoir envoyé des SMS “inappropriés et insultant la monarchie” à Somkiat Klongwattanasuk, secrétaire d’un ancien Premier ministre thaïlandais, Abhisit Vejjajiva. Des témoins à charge et à décharge devraient être entendus par la cour lors de nouvelles audiences, les 23, 27, 28, 29 et 30 septembre prochain. Un verdict est attendu avant le 31 octobre 2011. Ampon Tangnoppakul, connu sous le nom “oncle SMS”, avait été arrêté l’année dernière pour violation du Computer Crime Act. Des moyens disproportionnés ont été mis en place lors de son arrestation : une quinzaine de policiers accompagnés d’un lieutenant général, de deux colonels et de deux lieutenants colonels sont venus l’arrêter à son domicile, dans la province de Samutprakarn, Ampon Tangnoppaku, qui risque jusqu’à vingt ans de prison, aurait admis être le propriétaire des téléphones incriminés, mais aurait nié être l’auteur des SMS. Âgé de 60 ans et souffrant d’un cancer de la langue, l’état de santé d’Ampon Tangnoppakul pourrait se détériorer gravement en cas d’incarcération prolongée. Malgré plusieurs demandes de son avocat, la cour a jusqu’à présent toujours refusé de le libérer sous caution. Reporters sans frontières demande l’abandon immédiat des charges pesant contre lui. Surapak Phuchaisaeng et Ampon Tangnoppakul font partie des premiers net-citoyens arrêtés pour lèse-majesté depuis la prise de fonction du nouveau gouvernement. Un signe inquiétant, qui laisse craindre une prolongation de la politique répressive de l’Etat. Les hébergeurs, nouvelle police du Net ? Par ailleurs, un ressortissant américain d’origine thaïlandaise, Anthony Chai, a récemment décidé de poursuivre en justice un hébergeur canadien, Netfirms, pour avoir fourni ses données personnelles aux autorités thaïlandaises, dans une procédure de lèse-majesté. Netfirms avait pris le parti de fermer un site anti-gouvernement qu’il hébergeait, Manusaya.com, et de transmettre les données personnelles de tous ses utilisateurs aux autorités thaïlandaise. Les données mises à disposition du Département des investigations spéciales (DSI) ont valu à Anthony Chai de passer deux jours en prison lors de sa dernière visite en Thaïlande, en mai 2006. Plusieurs posts renvoyaient en effet a des adresses IP d’ordinateurs appartenant au net-citoyen mais qui, semble-t-il, étaient mis à disposition du public dans son magasin. Des agents du DSI étaient venus jusqu’en Californie, lieu de résidence du net-citoyen, pour l’interroger. Anthony Chai affirme que des menaces ont été proférées à l’encontre de sa famille restée en Thaïlande, et qu’il risque d’être de nouveau arrêté s’il retourne dans le pays. Reporters sans frontières s’alarme également des déclarations faites à la presse par le lieutenant colonel Boonlert Kullayanamit, en marge du procès de la directrice du site Prachatai, Jiew, où il était cité comme témoin. Le lieutenant colonel a en effet affirmé que si Prachatai devait à nouveau être mis en cause par la justice, les autorités demanderaient la coopération du pays où le site est hébergé. La Thaïlande fait partie des pays sous surveillance dans la liste des Ennemis d’Internet, actualisée le 12 mars 2011 par Reporters sans frontières. Photo : Yingluck Shinawatra (crédits : Tarasaphorn)
Publié le
Updated on 20.01.2016