Le journaliste Muhammad Bekjanov doit être liberé immédiatement !

A l’approche de la visite en Ouzbékistan du secrétaire général des Nations unies Ban Ki-Moon, le 12 juin 2015, Reporters sans frontières (RSF) et l'Association Droits de l'homme en Asie centrale appellent les autorités ouzbèkes à remettre immédiatement en liberté Muhammad Bekjanov. Ce journaliste âgé de 60 ans, dont plus de seize derrière les barreaux, a reçu le prix de Reporters sans frontières pour la liberté de la presse en 2013. Ўзбек тилида ўқиш / Lire en ouzbek
Читать по-русски / Lire en russe Ancien rédacteur en chef du principal journal d’opposition ouzbek, marié et père de trois enfants, Muhammad Bekjanov figure parmi les plus anciens journalistes emprisonnés au monde. Au début des années 90, à la tête de la rédaction d’Erk (Liberté), il avait tenté d’ouvrir le débat sur tous les sujets tabous : catastrophe écologique de la mer d’Aral, recours au travail forcé dans les champs de coton, économie exsangue... Il est rapidement devenu la bête noire du président Islam Karimov, qui mettait alors en place le régime autoritaire sur lequel il règne toujours aujourd’hui. Une série d’attentats à Tachkent en 1999 a servi de prétexte à ce dernier pour achever de faire taire les critiques : comme de nombreux militants démocrates, Muhammad Bekjanov a été jugé complice et condamné à 15 ans de prison. Une réduction de peine a été prononcée en 2003, mais quelques jours avant le terme de sa détention, en février 2012, le journaliste a été condamné à quatre ans et huit mois supplémentaires pour “refus d’obtempérer aux exigences légales de l’administration pénitentiaires” (article 221 du code pénal). Son collègue Yousouf Rouzimouradov, arrêté en même temps que lui, croupit lui aussi toujours en prison.

Empêché de voir son avocat

Les autorités empêchent aujourd’hui Muhammad Bekjanov de rencontrer son avocate, Polina Braunerg. Lorsque cette dernière s’est présentée à la prison avec son autorisation de rendez-vous, le 29 avril 2015, elle s’est vue répondre que le journaliste figurait sur la “liste noire” du Service de sécurité nationale (SNB) et qu’on ne pouvait lui donner aucune information à son sujet. “J’ai attendu de voir mon client pendant plus de cinq heures, sous une chaleur de 38°C, mais on n’a même pas cherché à m’expliquer où il se trouvait”, rapporte Polina Braunerg. Reporters sans frontières et l'Association Droits de l’homme en Asie Centrale sont extrêmement préoccupées par cette nouvelle marque de mépris pour les droits du journaliste. “Il est urgent que Muhammad Bekjanov ait accès à une aide médicale et juridique, souligne Nadejda Atayeva, présidente de l’Association Droits de l’homme en Asie centrale. Ses conditions de détention ont gravement altéré son état de santé et nous craignons qu’elles ne lui soient fatales.” “Près de seize ans après sa première condamnation, il est inacceptable que ni le journaliste, ni ses proches, ni même son avocat ne soient encore en possession des décisions de justice rendues à son encontre”, ajoute Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de Reporters sans frontières. Les autorités ont fait de Muhammad Bekjanov un otage. Son frère, le célèbre opposant et poète Muhammad Salikh, était le seul adversaire du président Islam Karimov aux élections de décembre 1991. Officiellement crédité de moins de 13% des voix, il aurait d’après des observateurs indépendants remporté la majorité des voix. Une manifestation étudiante en sa faveur a été réprimée dans le sang et les journaux d’opposition ont rapidement été fermés.

Soumis à la torture, privé de soins

Depuis son arrestation, Muhammad Bekjanov a fait l’objet de tortures répétées. Dès la phase d’enquête, il a été frappé sur tout le corps, y compris à la tête et la cage thoracique, jusqu’à en perdre connaissance. En 2003, il a eu une jambe cassée au terme d’un passage à tabac, mais toute assistance médicale lui a été refusée. Du fait des tortures et d’une grave tuberculose longtemps restée non traitée, le journaliste a perdu de nombreuses dents et une bonne partie de son ouïe. Au cours d’une visite en 2014, l’épouse du journaliste Nina Bekjanova a constaté qu’il était sujet à des pics de douleur et une gêne permanente dus à une hernie de l’aine, qui s’est déclarée alors qu’il était employé en prison à la fabrication de briques. Muhammad Bekjanov se trouve dans un état d’épuisement physique et moral extrême. Au moins huit autres journalistes sont actuellement emprisonnés du fait de leurs activités professionnelles en Ouzbékistan. De nombreux opposants politiques, défenseurs des droits de l’homme et autres représentant de la société civile croupissent également en prison, de même que des milliers d’individus arbitrairement accusés “d’extrémismes religieux”. La prolongation de la détention des prisonniers politiques sur la base de l’article 221 du code pénal est monnaie courante. Ces condamnations sont prononcées sur la base de faux témoignages, au mépris total du droit des prévenus à un procès équitable. Plusieurs prolongations de peine peuvent se succéder pour un même prisonnier, ce qui équivaut de fait à une condamnation à la perpétuité. RSF et l’Association Droits de l’homme en Asie centrale adressent une copie de ce communiqué au rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et à son collègue en charge de la promotion et de la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression. (Photo: Uznews)
Publié le
Mise à jour le 20.01.2016