Le décès d’un journaliste néerlandais, nouvel épisode d’une série noire d’assassinats de journalistes en Europe

Le journaliste Peter R. de Vries a succombé à ses blessures neuf jours après une attaque par balles à Amsterdam. Reporters sans frontières (RSF) exhorte les Pays-Bas à se montrer exemplaires dans les poursuites judiciaires engagées contre ses assassins et l’Union européenne à tirer les leçons de cet acte ignoble pour mieux protéger les journalistes face au crime organisé.

Ce jeudi 15 juillet, le journaliste néerlandais spécialisé dans les affaires criminelles Peter R. de Vries, est décédé à l’hôpital des suites de l’attaque par balles du 6 juillet qui l’avait gravement blessé à la tête. Deux personnes soupçonnées d’être les auteurs ont été rapidement arrêtées et placées en détention provisoire, mais le commanditaire n’a toujours pas été identifié et le motif de l’attaque reste non-élucidé. De plus, en raison d’une menace grave pesant sur l’émission RTL Boulevard dans laquelle intervenait le journaliste le jour de l’attaque, la diffusion du programme en direct a dû être annulée samedi 10 juillet. 


Âgé de 64 ans et jouissant d’une grande estime de ses pairs et du public néerlandais, Peter R. de Vries s'intéressait autant aux affaires récentes liées au crime organisé qu'à des dossiers plus anciens, ce qui en avait fait une cible privilégiée de ceux qu'il dérangeait. Spécialiste de ces affaires depuis une quarantaine d’années, il avait gagné la confiance de certaines victimes de crimes dont il se faisait le porte-parole ou le conseiller. Il avait par exemple rempli le rôle de conseiller du principal témoin à charge dans l’affaire contre Ridouan Taghi, le criminel le plus recherché des Pays-Bas, soupçonné de diriger un réseau mafieux. 


L’assassinat de Peter R. de Vries vient s’ajouter à une série noire en Europe où le crime organisé représente désormais un danger majeur pour le journalisme. L’Union européenne, qui échoue à protéger ses journalistes, doit tirer la leçon de cette nouvelle tragédie pour mieux protéger les journalistes face à la mafia qui va toujours plus loin, déclare le responsable du bureau UE/Balkans de RSF, Pavol Szalai. L’exécution du journaliste néerlandais vient s’ajouter aux assassinats de Daphne Caruana Galizia à Malte en 2017, de Jan Kuciak en Slovaquie en 2018 et de Giorgos Karaivaz en Grèce en avril dernier, dont est aussi soupçonné le crime organisé. Pour ces raisons, nous exhortons les Pays-Bas, qui occupent la sixième place au Classement mondial de la liberté de la presse, à se montrer exemplaires dans l'identification et la condamnation de tous les responsables de l'assassinat."


Les menaces du crime organisé à l’égard des journalistes néerlandais se sont multipliées ces dernières années. Une grenade chargée a été trouvée devant la maison d’un reporter en charge des affaires criminelles pour le journal De Limburger fin 2020. En juin 2018, trois journaux néerlandais, De Telegraaf, Panorama et Nieuwe Revu, avaient fait l’objet d’attaques menées à l’aide d’une missile anti-char et d’une fourgonnette jetée contre la façade de leurs locaux. 


Le crime organisé est soupçonné d’être à l’origine des assassinats de trois autres journalistes commis au sein de l’Union européenne ces quatre dernières années, dans des affaires où les autorités nationales peinent à rendre justice aux confrères et à la consoeur disparus de Peter R. de Vries. Le précédent journaliste abattu est le reporter grec spécialiste des affaires criminelles Giorgos Karaivaz, assassiné en plein jour le 9 avril dernier. Malgré les promesses du gouvernement d’engager des procédures “rapides et accélérées", l’enquête n’avance pas.


Le commanditaire de l’assassinat du journaliste d’investigation slovaque, Jan Kuciak, en février 2018 n’a toujours pas été condamné, la Cour suprême ayant seulement récemment annulé l’acquittement de première instance de Marian Kocner, cet entrepreneur accusé d’avoir ordonné le crime.


Plusieurs personnes sont soupconnées d’avoir commandité et perpétré en 2017 l’assassinat de Daphne Caruana Galizia qui enquêtait sur la corruption dans les hautes sphères de l’Etat. Mais un seul d’entre eux a été condamné jusqu’à présent. L’entrepreneur Yorgen Fenech, accusé d’avoir commandité l’explosion de la voiture de la journaliste, est en détention provisoire en attendant son procès qui ne commencera pas avant cet automne. 


Dans le sud de l’Union européenne, les reporters font régulièrement l’objet des attaques de la mafia. En Italie, une vingtaine de journalistes vivent sous protection policière permanente ce qui ne les empêche pas d’être régulièrement visés :  la voiture du journaliste Fabio Buonofiglio a été totalement détruite par un incendie en Calabre en avril 2020, tandis que le reporter Michele Santagata a été pris en embuscade dans la ville de Cosenza dans la même région en septembre 2020. En Bulgarie, qui occupe le dernier rang au Classement mondial de la liberté de la presse parmi les pays de l’Union européenne, la situation n’est pas plus réjouissante et les attaques fréquentes : le journaliste d’investigation Slavi Angelov a été violemment frappé devant son domicile en mars 2020, et le commanditaire de cette attaque n’a toujours pas été identifié.


La Slovaquie, l’Italie, Malte et la Bulgarie figurent respectivement à la 35e, 41e, 56e, 81e et 112e place au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2021. 


Voir aussi l’enquête de RSF publiée en novembre 2018, Les journalistes dans le viseur des groupes mafieux

Publié le
Mise à jour le 15.07.2021