La responsabilité des intermédiaires techniques examinée par un tribunal indien

Le procès pénal de 21 entreprises du Net accusées d’héberger des contenus “choquants” s’est poursuivi cette semaine. Au cours des audiences du 14 et du 15 février derniers, la défense a soulevé plusieurs points problématiques. La procédure de “notice-and-take-down” (suppression du contenu par l’hébergeur suite à une notification des autorités) prévue par les IT Rules n’a pas été respectée. Les sites accusés n’ont pas reçu de demande de retrait de contenus de la part des autorités compétentes, le plaignant, Vinay Rai, ayant directement saisi un tribunal pénal. Les avocats des entreprises ont également décliné toute responsabilité pour des contenus postés par des tiers sur leurs plateformes, invoquant la section 79 des IT Rules, qui prévoit qu’aucun intermédiaire ne peut être tenu responsable de contenus répréhensibles postés par des tiers via ses services, s’il prouve qu’il n’en avait pas connaissance ou qu’il a pris les mesures nécessaires pour éviter ce genre d’infraction. L’avocat de la police de New Delhi a cependant déclaré que les entreprises avaient été informées par le ministère de l’Information et des nouvelles technologies (Department of Information technology) de la présence de contenus “choquants” sur leurs services, et que par conséquent l’exception prévue par la section 79 n’était pas valable. Le juge a demandé au ministère de fournir les documents prouvant cette allégation le 16 février. La prochaine audience a été fixée au 18 février 2012. Les avocats de Google et Facebook ont objecté que le gouvernement indien ne pouvait se constituer comme partie civile dans un procès entre parties privées. Reporters sans frontières s’inquiète également des conséquences d’une telle intrusion de l’Etat dans une procédure judiciaire, qui menace l’indépendance même de la justice. L’organisation appelle la justice à rendre un verdict mesuré, en respect de la liberté d’expression garantie par la constitution indienne, et à ne pas faire peser la responsabilité des contenus publiés par des tiers sur des intermédiaires, qui semblent être actuellement sous le coup d’un acharnement de la part des autorités indiennes. Le Wall Street Journal a révélé, le 13 février dernier, qu’une enquête avait été ouverte sur les filiales indiennes de Google et Yahoo!, soupçonnées de violer les régulations indiennes de commerce international. Les récentes déclarations du ministre des Communications Kapil Sibal, qui a affirmé, lors d'une réunion sur les hautes technologies à Bombay, le 14 février 2012, “qu'aucun gouvernement en Inde ne censurerait jamais les réseaux sociaux”, ne doivent pas rester lettre morte. ------------------ La justice obtient d’entreprises du Net qu’elles purgent leurs sites de contenus jugés “choquants” 09.02.2012 Plusieurs entreprises du Net, dont les filiales indiennes de Google et Facebook, ont annoncé, le 6 février 2012, avoir cédé aux injonctions de la justice indienne et supprimé de leurs domaines indiens certains contenus jugés “offensants”. Ce jour-là, lors d’une audience devant un tribunal civil de New Delhi, le juge a demandé aux 22 sociétés de rendre sous quinze jours un rapport détaillé sur les mesures prises pour bloquer les contenus “choquants”. Les entreprises (parmi lesquelles Google, Yahoo!, Facebook, Youtube, Blogspot, le réseau social Orkut et le forum Exbii) avaient jusqu’au 6 février 2012 pour supprimer des éléments “répréhensibles”. Le juge avait déjà menacé de mettre en place des blocages “comme en Chine” pour les plateformes web récalcitrantes. “La surenchère dans le “nettoyage” et la surveillance du Net indien ne semble pas s’essouffler. Nous appelons la justice indienne à se garder de toute injonction abusive, comme elle a pu le faire en ordonnant aux entreprises du web de purger leurs plateformes de tout contenu “choquant”. Elle doit renoncer à imposer à ces sites collaboratifs la mise en place d’un filtrage systématique et a priori de certains contenus jugés “répréhensibles”, des mesures qui seraient très dommageables pour la liberté d’expression en ligne. La dernière législation en date sur le sujet, les “IT Rules”, doivent être amendées pour ne pas devenir un instrument de censure liberticide”, a déclaré Reporters sans frontières. Un porte-parole de Google Inde a annoncé, le 6 février 2012, que les contenus “offensants” avaient été déréférencés du moteur de recherche indien, et supprimés des domaines indiens de Youtube, Blogger et Orkut. La nature exacte de ces éléments n’a pas été communiquée. Il s’agirait d’images offensantes à l’égard de certaines religions (« anti-religious » material). Reporters sans frontières demande à l’entreprise de détailler les contenus concernés dans le Google Transparency Report, où elle répertorie les cas de suppression d’éléments sur demande gouvernementale. La société-mère Facebook a pour sa part déclaré qu’elle ne pouvait se plier aux exigences de la justice indienne car ses serveurs sont situés aux Etats-Unis. Yahoo!, Microsoft et Google ont également demandé à ce que les accusations portées contre leurs services soient retirées car ils ne sont pas responsables des contenus hébergés sur leurs domaines indiens. En parallèle de cette procédure civile, des poursuites pénales ont été lancées contre ces mêmes entreprises du Net par Vinay Rai, un journaliste hindou, toujours au motif qu’elles hébergent des contenus “choquants”. Google Inde a fait appel et saisi la Haute Cour de Delhi, le 23 décembre 2011. Reporters sans frontières appelle la cour à ne pas faire porter sur les entreprises la responsabilité des contenus postés par des tiers sur les plateformes web, et à abandonner les poursuites pénales. Une audience est prévue le 14 février prochain. Les autorités accentuent leur contrôle de l’information sous prétexte de purger le web indien de tout contenu pouvant attiser les tensions religieuses et sociales. Selon les IT Rules mises en place en 2011, les entreprises du Net doivent supprimer tout contenu interdit dans les 36 heures suivant la notification des autorités, sans décision judiciaire préalable, ce qui devrait normalement être le cas. L’Inde a perdu neuf places dans le classement mondial de la liberté de la presse 2011-2012 établi par Reporters sans frontières, et se situe désormais à la 131ème place sur 178 pays. Crédits photo: AFP
Publié le
Updated on 20.01.2016