La guerre de l’information fait deux nouvelles victimes en Ukraine
Reporters sans frontières (RSF) réclame la remise en liberté immédiate du journaliste Vassily Mouravitski et du blogueur Edouard Nedeliaïev. Le premier a été incarcéré le 3 août 2017 par les autorités ukrainiennes. Le second a été condamné à 14 ans de prison, une semaine plus tôt, par les séparatistes de Lougansk.
C’est une véritable pluie de chefs d’accusation. Placé en détention provisoire le 3 août à Jytomyr (150 km à l’ouest de Kiev), Vassily Mouravitski est poursuivi pour “haute trahison”, “atteinte à l’intégrité territoriale de l’Ukraine”, “incitation à la haine” et “soutien aux activités d’organisations terroristes”. Mais les éléments à charge produits par les autorités ukrainiennes semblent pour l’heure se résumer à sa collaboration avec des médias d’Etat russes.
En prison pour avoir collaboré avec des médias russes ?
Le parquet et les services de renseignement (SBU) accusent le journaliste d’être un “mercenaire de l’information” et d’avoir mené, entre 2014 et 2016, des “activités subversives contre l’Ukraine au profit d’un Etat étranger”. Plus précisément ? A la demande de médias russes, Vassily Mouravitski aurait “créé et diffusé sur Internet des publications contenant des éléments de manipulation psychologique de l’opinion et d’incitation à la haine”. Un contrat de service le liant au groupe de médias d’Etat russe “Rossia Segodnya” est exhibé comme une preuve. Le journaliste est en détention provisoire pour au moins deux mois, sans possibilité de remise en liberté sous caution. Âgé de 32 ans, il encourt jusqu’à 15 ans de prison.
“Nul n’ignore la portée destructrice de la propagande et son rôle bien réel dans la tournure tragique des événements en Ukraine, déclare Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF. Mais on ne saurait criminaliser la simple collaboration avec un média ou l’expression d’opinions qui dérangent. Si l’incitation à la haine ou à la violence doit bien sûr être combattue, c’est sur la base d’éléments précis et dans le respect du droit international. Au regard des éléments rendus publics à ce jour, le placement en détention provisoire de Vassily Mouravitski n’apparaît ni nécessaire ni proportionné : nous appelons à sa remise en liberté immédiate.”
L’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par l’Ukraine, stipule que la liberté d’expression ne peut être limitée que par des restrictions strictement légales, nécessaires et proportionnées. Les Principes de Johannesbourg précisent ces critères dans le domaine de la sécurité nationale : pour restreindre la liberté d’expression, les autorités doivent être en mesure d’établir un lien direct entre les propos incriminés et de potentielles actions violentes.
Chez les séparatistes, un blogueur condamné à 14 ans de prison
La guerre de l’information en Ukraine n’en finit pas de faire des victimes. RSF a récemment appris la condamnation du blogueur Edouard Nedeliaïev à 14 ans de prison par les séparatistes pro-russes de la “République populaire de Lougansk” (LNR). La sentence est tombée le 28 juillet, soit huit mois après son arrestation. Sous le pseudonyme “Edward Ned”, le blogueur était connu pour ses posts sur les réseaux sociaux commentant la vie quotidienne à Lougansk, ville contrôlée depuis trois ans par les séparatistes.
Les autorités autoproclamées de la LNR l’accusent “d’atteinte à l’honneur et la dignité des citoyens”, “d’incitation à la haine et à l’hostilité envers la nation russe” et “d’avoir menacé la sécurité nationale en fournissant des données à des agents étrangers”. Edouard Nedeliaïev rejoint dans les geôles séparatistes Stanislav Asseïev, porté disparu le 2 juin : la “République populaire de Donetsk” a reconnu un mois plus tard qu’elle détenait ce correspondant de Radio Free Europe / Radio Liberty sous des accusations d’espionnage.
En plus d’être des zones de non-droit, les territoires séparatistes de l’Est de l’Ukraine sont devenus de véritables “trous noirs” de l’information. Les journalistes critiques y ont été réduits à la clandestinité et les observateurs étrangers ne sont plus admis qu’au compte-gouttes. La Crimée a également été purgée de ses journalistes et médias critiques depuis l’annexion russe en 2014.
Le reste de l’Ukraine occupe la 102e place au Classement mondial de la liberté de la presse.