Kazakhstan : RSF dénonce l'impossible couverture des manifestations par les médias indépendants

Au Kazakhstan, où des manifestations sans précédent contre le pouvoir secouent le pays, journalistes et médias indépendants rencontrent d’importants obstacles à leur couverture du mouvement. Reporters sans frontières (RSF) demande au président Tokaev de garantir l’accès à l’information et la liberté des reporters sur le terrain.

 

Arrestations arbitraires, violences policières, blocage des télécommunications, coupures d’internet… Après quatre jours de manifestations populaires massives contre la hausse du prix du gaz, puis l’instauration d’un état d’urgence au soir du 5 janvier, les journalistes et les médias qui couvrent le mouvement de protestation contre le régime kazakh sont encore victimes de la répression menée par le pouvoir. Ces deux derniers jours, les autorités, qui cherchent à contrôler l'information sur les événements en cours, ont multiplié les attaques contre les voix indépendantes couvrant les manifestations.

 

"Les autorités n’économisent aucun moyen pour contrôler les informations sur les manifestations et limiter leur médiatisation, dénonce la responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF, Jeanne Cavelier. Cette période de troubles ne doit pas servir de prétexte à la censure des médias, au contraire. Nous demandons au président Kassym-Jomart Tokaev de rétablir immédiatement l’accès à internet et aux sites bloqués, et de permettre aux journalistes de couvrir librement, sans crainte de la police, ce mouvement de protestation d'ores et déjà historique par son ampleur."

 

Attaques physiques et intimidations

 

Premiers témoins des violences policières contre les manifestants, de nombreux reporters ont été arrêtés sans raison alors qu'ils portaient un gilet de presse. L'un d'eux, Darkhan Oumirbekov qui couvrait les manifestations dans la capitale, Nour-Soultan, pour Radio Azattyq, le service en kazakh du média public américain Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL), a été arrêté le soir du 4 janvier et maintenu en garde à vue pendant quatre heures et demie. Le présentant comme un simple "témoin" ayant juste une "conversation" avec des responsables judiciaires, la police a interdit au journaliste de voir son avocate pendant plus de deux heures, comme celle-ci l'a expliqué sur l’antenne de RFE/RL. Plus tôt dans la journée, son collègue Kassym Amanjol, responsable du bureau régional d'Almaty de Radio Azattyq, avait été interpellé en même temps que plusieurs manifestants, bien qu'il se soit identifié en tant que journaliste auprès de la police.

 

Dans la région de Manguistaou (Sud-Ouest), où a démarré le mouvement de protestation, trois reporters ont été placés en détention après que le groupe de manifestants qu'ils filmaient a été arrêté. Deux d'entre eux, les correspondants locaux Daniyar Alimkoul pour Channel 7 et Nourbolat Janabekouly pour Channel 31 ont été libérés peu après. Selon le témoignage de deux de ses confrères, la troisième reporter, qui travaille pour le journal Vremya, Aïjan Aouelbekova, a vu sa détention prolongée. A Oural (Nord-Ouest), le rédacteur en chef de l’hebdomadaire Ouralskaïa Nedelia, Loukpan Akhmediarov, a été interrogé plusieurs heures sur sa prétendue “implication dans des activités extrémistes”.

 

Outre ces interpellations arbitraires, des journalistes ont été victimes d'attaques physiques et d'intimidations. Le 5 janvier, le journaliste Leonid Rasskazov, qui couvrait les manifestations à Almaty pour le site d’information Orda.kz, été touché dans le dos par une balle en caoutchouc tirée par la police ; son collègue Bek Baïtasov a, lui, été blessé au visage par un éclat de grenade de désencerclement. Si la stratégie de maintien de l'ordre de la police s'en prend aussi bien aux journalistes qu’aux manifestants, les seconds s’en sont également pris aux premiers : toujours lors de ces manifestations, des participants ont essayé de s’emparer de la caméra d'une équipe de l'agence de presse KazTag, avant que l'un d'eux ne menace de leur lancer un pavé en les pourchassant.

 

Internet suspendu

 

En parallèle, les autorités ont repris en main les médias en ligne, seul espace où l'information était diffusée librement dans le pays. Le 4 janvier dans l’après-midi, les sites d'information d’Orda.kz et de KazTag ont été bloqués par le ministère de l'Intérieur, à la suite de la publication d'articles évoquant des violences policières, ainsi que l'a dénoncé RSF. Puis, en début de soirée, les services de Messenger, WhatsApp, Telegram et Signal ont cessé de fonctionner. Enfin, Internet a été complètement suspendu dans le pays le 5 janvier vers 13 heures, au point que même des VPN et d’autres systèmes de contournement ne permettaient pas de se connecter, a indiqué l'ONG spécialisée Netblocks. L’accès à internet a toutefois été rétabli temporairement dans la soirée...  à l’occasion du discours télévisé du président Tokaev.

 

Face à la colère des manifestants, qui ont incendié plusieurs bâtiments officiels, le président a été contraint de limoger son gouvernement et a demandé de l'aide militaire à la Russie et à ses alliés dans le cadre de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC). Celle-ci a envoyé un premier contingent de force de “maintien de la paix" le 6 janvier. Les heurts de ces derniers jours entre la police et les manifestants se sont déjà soldés par plusieurs dizaines de morts et des milliers de blessés.

 

Le Kazakhstan est situé à la 155e place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2021.

 

Publié le
Mise à jour le 06.01.2022