Insécurité, censure et restrictions d’accès à l’information menacent la liberté de la presse

Reporters sans frontières s’inquiète de la détérioration constante de la liberté d’information en Inde depuis le début de l’année. Les journalistes et les internautes sont fréquemment victimes de violences et de censure. Ces dernières semaines, des professionnels des médias et des net-citoyens ont été violemment agressés, empêchés de couvrir les activités de l’armée ou arrêtés pour diffusion d'informations en ligne, alors que le gouvernement de New Delhi a rejeté un plan de protection des journalistes proposé à l’Unesco. Parallèlement, la justice cherche à renforcer le contrôle de la couverture des procès par les médias, et deux procédures en cours, concernant la diffusion d’informations en ligne, pourraient accroître la responsabilité des intermédiaires techniques. “Toute une série d’actions de la part de diverses branches de l’état menacent et fragilisent la liberté d’information. Trop souvent, les autorités, fédérales ou locales, prennent des décisions liberticides. Nous attendons du gouvernement qu’il prenne systématiquement en compte la protection des professionnels des médias et de leur conditions de travail, qu’il renonce à ses velléités de contrôle et de surveillance généralisée de la Toile et qu’il revoie les “IT Rules 2011”, dangereuses pour la liberté d’expression en ligne. Les autorités judiciaires compétentes doivent également abandonner les poursuites pour diffusion de contenus “choquants” à l’encontre de plusieurs entreprises du Net”, a déclaré Reporters sans frontières. “Jusqu’à présent nous nous étions gardés d’intervenir dans l’arrestation du journaliste Syed Mohammed Ahmad Kazmi, accusé de participation à un acte terroriste. Au regard des récentes déclarations du journaliste, nous sommes inquiets des possibles mauvais traitements qu’il aurait pu subir, et demandons une enquête approfondie sur la base de ses allégations. La Justice a le devoir de s’assurer qu’il n’est pas victime d’un “délit de faciès”. Le manque de transparence dans l’enquête, au moment où la Cour suprême a évoqué, au début du mois d’avril, une charte pour réguler la couverture de ses activités par les journalistes, est inacceptable. Le droit d’accès à l’information des médias, et par eux de la population, ne doit pas être remis en cause.” “Les médias indiens ont besoin que les autorités garantissent leurs droits et leur sécurité, avant qu’elles ne se penchent sur leurs devoirs, déjà suffisamment encadrés. A ce titre le refus de l’Inde d’adopter le ‘plan d’action sur la sécurité des journalistes’ à l’Unesco est regrettable, et traduit le manque de préoccupation flagrant de New Delhi pour la profession”, a ajouté l’organisation. Violences et insécurité: Le 11 avril 2012, Kamal Shukla, rédacteur en chef du quotidien en hindi Rajasthan Patrika, a été agressé à son bureau situé dans la ville de Kanker, dans l’état du Chhattisgarh (Est), par un homme armé d’une barre de fer, qui aurait été identifié par la suite en la personne de l’activiste politique Anupam Awasthi. L’individu, accompagné de deux complices, a frappé le journaliste au dos et aux épaules. Ce dernier a été hospitalisé d’urgence pendant cinq jours. Son ordinateur et son appareil photo ont été détruits par les assaillants. L’attaque ferait office de représailles suite à des articles du journaliste sur des affaires de déforestation illégale dans la région, publiés à la fin du mois de mars 2012 dans la presse locale, ainsi que sur le site de journalisme citoyen CGNet Swara. Les informations découvertes par Kamal Shukla avaient ensuite été reprises par d’autres journaux, avec notamment des détails concernant un membre de la famille du ministre des Forêts. Anupam Awasthi, qui avait déjà essayé, selon l’International Federation of Journalists (IFJ), de convaincre le journaliste de ne plus écrire sur ce sujet en lui offrant des pots de vin, serait un collaborateur de ce ministre. Cette attaque survient alors que trois semaines auparavant, lors d’une session de l’Unesco qui s’est tenue à Paris le 23 et 24 mars 2012, l’Inde, comme le Pakistan et le Brésil, a refusé d’adopter un “Plan d’action pour la sécurité des journalistes et le problème de l’impunité”. Discuté par les délégués de l’Intergovernmental Council of the International Programme for Development of Communication (IPDC), le plan comprenait des recommandations concrètes visant à améliorer la sécurité des professionnels des médias, et demandait aux pays membres de prendre des mesures légales afin de poursuivre les responsables des meurtres de journalistes dans leur territoire. Les pays membres étaient également invités à présenter les avancées des enquêtes sur les meurtres de journalistes sur leur territoire, entre 2006 et 2009. Entrave dans laccès à linformation Lors de la conférence à l’Unesco, si l’Inde n’a pas refusé de divulguer le statut des enquêtes en cours, la transparence de l'enquête sur l’implication du journaliste Syed Mohammed Ahmad Kazmi dans la préparation d’un attentat, ne semble pas réellement respectée. Selon un article du Decca Herald du 16 avril 2012, le journaliste, actuellement en détention, a déclaré avoir été contraint par la police de signer des documents en blanc. Les policiers auraient menacé le journaliste en évoquant des “conséquences” pour sa famille s’il refusait d'obtempérer. Soupçonné d’avoir collaboré dans la préparation de l’attentat à la bombe du 13 février 2012, à New Delhi, contre l'attaché à la Défense de l'ambassade d'Israël, Alon Yehoshua, et de son épouse, la diplomate Tal Yehoshua, Syed Mohammed Ahmad Kazmi a été arrêté le 6 mars 2012, date depuis laquelle il est en détention. Journaliste pour l’Iranian News Agency (IRNA), la chaîne de télévision indienne Doordarshan, la BBC et plusieurs journaux en langue urdu, Mohammed Kazmi avait également lancé sa propre agence de presse en urdu, Media Star. Selon plusieurs organisations de journalistes, Mohammed Ahmad Kazmi pourrait avoir été arrêté à cause de ses positions politiques régulièrement affichées dans ses articles. Partageant ce point de vue, l’avocat du journaliste, Gajinder Kumar a récemment déclaré aux médias que l'incarcération de son client était une “punition pour un crime qu'il n'a pas commis”. Le Comité de soutien au journaliste (Kazmi Solidarity Commitee), composé de plusieurs personnalités des médias indiens, a également dénoncé le manque d’information de la part du parquet, qui a obtenu de pouvoir conserver hors de portée du public les preuves matérielles apportées au dossier. Parallèlement, la Cour suprême a déclaré vouloir formuler des directives régissant la couverture des procès par les médias, afin d’équilibrer la liberté de la presse avec les droits des accusés devant le tribunal. Les directives de la cour seraient motivées par le constat que les médias pourraient influencer l’opinion publique avec des informations parfois non vérifiées ou sans fondement. Dans un article publié le 30 mars sur le site de The Hindu, le journaliste Siddharth Varadarajan, s’inquiète d’une éventuelle insistance de la Cour Suprême pour établir elle même le code de conduite auquel les journalistes devraient se conformer, arguant que “cela ouvrirait la porte aux autres branches du gouvernement (...) pour effectuer une demande similaire aux médias, conditionnant l'accès au Parlement, aux assemblées législatives, aux ministères, aux institutions publiques, hôpitaux, universités, etc. (à un code de conduite)”, et ajoutant que “l'instinct naturel de la plupart des politiciens et des bureaucrates est de cacher ou de supprimer des informations pour un prétexte ou un autre. L'adoption de lignes directrices pour les médias par la Cour suprême les y encourageraient, et constituerait en outre une atteinte au droit du public à être informé. Dans une autre affaire, le 10 avril 2012, le haut tribunal d’Allahabad, dans l’état de l’Uttar Pradesh (Nord), a interdit à tous les médias de rapporter une polémique entre le gouvernement et les forces armées sur les mouvements d’unités militaires vers la capitale, qui auraient été effectués le 16 janvier dernier, sans accord préalable de New Delhi. Quelques jours auparavant, la question avait été soulevée devant un tribunal par l’activiste politique Nutan Thakur, qui s’était dite inquiète qu’on puisse considérer la couverture de cette polémique comme une nuisance possible à la sécurité interne du pays. Le président du Press Council of India, Markandey Katju, le 12 avril, avait également manifesté son désaccord avec la décision du haut tribunal et exprimé sa volonté de la contester. Harcèlement dun net-citoyen accusé davoir relayé une caricature sur Facebook Ambikesh Mahapatra, professeur de chimie à l’université de Jadavpur à Calcutta (capitale actuelle de l'État du Bengale-Occidental), a été arrêté dans la nuit du 12 au 13 avril 2012, après avoir transféré par email et posté sur Facebook une caricature de la ministre en chef du Bengale-Occidental, Mamata Banerjee, également fondatrice du parti All India Trinamool Congress (AITMC ou TMC). Ambikesh Mahapatra a été placé en détention alors qu’il était venu porter plainte contre une agression par des partisans du TMC. La caricature ferait référence à la démission “contrainte” par son propre parti, le TMC, de l’ancien ministre des Chemins de fer indiens, Dinesh Trivedi, après l’annonce d’une hausse des tarifs ferroviaires. Selon le Jagran Post, Mamata Banerjee, elle-même, aurait écrit au Premier ministre, Manmohan Singh, pour demander qu’il soit remplacé par un autre membre du parti, Mukul Roy. De haut en bas: 1. Mamata Banerjee points to Indian Railways’ logo and tells Mukul Roy: “See Mukul, the Golden Fortress”; 2. Mukul Roy points to former railway minister Dinesh Trivedi and exclaims: “That’s an evil man!!!”; 3. Mamata says: “Evil man, vanish!” Le ministre TMC du Travail, Purnendu Bose, a justifié cette arrestation par le fait que la caricature n’était pas un dessin mais constituée de vraies photographies, rapporte India Today. Ambikesh Mahapatra a été relâché sous caution le jour même par une cour d’Aliport. Il ferait l’objet de quatre chefs d’accusation dont trois issus du code pénal : insulte à la pudeur d'une femme, humiliation des femmes passibles d’un an de prison et diffamation, passible d’une peine allant jusqu’à 3 ans de prison. Le quatrième chef d’accusation, “offense causée en utilisant un ordinateur”, s’appuierait sur la loi sur les Télécommunications (IT Act), punissable par trois ans de prison et une amende. Reporters sans frontières avait dénoncé, en mai 2011, l’annonce, par les autorités indiennes, de nouvelles régulations “IT Rules 2011”, dangereuses pour la liberté d’expression en ligne. Plusieurs membres du Communist Party of India (CPI-m), principal parti d’opposition, ainsi que certains collègues de Mahapatra ont condamné cette arrestation qu’ils jugent contraire à la liberté d’expression. Plusieurs autres caricatures de Banerjee circulent sur Facebook. D’après plusieurs médias indiens, le département des enquêtes criminelles (CID) du Bengale-Occidental aurait écrit au siège du réseau social pour demander le retrait de quatre de ces caricatures, ainsi que l’adresse IP de l’ordinateur d’où les premières images avaient été postées. Abandon des poursuites contre certaines entreprises du Web Le 12 avril 2012, le juge Praveen Singh a abandonné les poursuites au civil déposées contre plusieurs entreprises du Web, dont Google India, Exbii, IMC India, My Lot, Shyni Blog, Topix, Zombie Time et Boardreader. Le tribunal avait préalablement abandonné les poursuites contre Yahoo! et Microsoft. Des vingt-deux entreprises initialement concernées, seules six d’entre elles doivent encore s’expliquer devant la justice pour la diffusion de contenus jugés répréhensibles : Facebook (India and US), Google Inc, Orkut, Youtube et Blogspot. Selon le plaidoyer de Google India, la filiale indienne de Google est une simple entreprise de développement de logiciel, sans influence sur les contenus qui transitent via les différentes plateformes de Google. Deux procédures judiciaires, l’une au civil, l’autre au pénal, ont été lancées, fin 2011, par des particuliers contre des entreprises du Web, pour diffusion de contenus “choquants”. Reporters sans frontières a demandé à la justice indienne de ne pas faire peser sur les entreprises la responsabilité des contenus postés par des tiers sur les plateformes web. L’Inde a été rajoutée à la liste des pays sous surveillance dans le rapport des Ennemis d’Internet publié en mars 2012.
Publié le
Updated on 20.01.2016