Géorgie : préserver le pluralisme, réduire l’influence des patrons de presse et des partis politiques sur les médias
La rétrocession de la chaîne d’opposition Rustavi 2 à l’un de ses anciens propriétaires suscite des inquiétudes pour le pluralisme en Géorgie. Reporters sans frontières (RSF) appelle au respect de l’indépendance éditoriale de la rédaction et à limiter l’influence des patrons de presse et des partis politiques sur les grands médias géorgiens.
C’est le dernier épisode d’un bras de fer qui dure depuis plusieurs années : le 18 juillet, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a rejeté les recours introduits contre le transfert de la chaîne géorgienne Rustavi 2 à l’un de ses anciens propriétaires, Kibar Khalvachi. La cession, ordonnée en 2017 par la justice géorgienne, est donc devenue effective.
Au-delà des controverses sur la propriété de la chaîne, ce sont les conséquences potentielles de ce changement de propriétaire qui suscitent l’inquiétude en Géorgie : Rustavi 2 est à la fois la chaîne la plus populaire du pays et le principal porte-voix de l’opposition politique. Dans un pays où les patrons de presse ont la haute main sur les lignes éditoriales, la rédaction craint que Kibar Khalvachi n’impose un revirement de la chaîne en faveur du pouvoir. Ce qui porterait un coup majeur au pluralisme du paysage audiovisuel géorgien, où Rustavi 2 fait figure d’exception au milieu de chaînes progouvernementales.
Kibar Khalvachi a promis de ne pas intervenir dans la ligne éditoriale de la chaîne et de ne licencier personne si ce n’est son directeur général, Nika Gvaramia. Le nouveau propriétaire a cependant rejeté les demandes de la rédaction de confirmer cet engagement par écrit, de créer un conseil de supervision indépendant et de prolonger de deux ans tous les contrats du personnel. Les journalistes s‘inquiètent également de ses déclarations quant à la situation économique de la chaîne, qu’il affirme avoir trouvée plus dégradée qu’il ne l’attendait.
“L’indépendance éditoriale de la rédaction de Rustavi 2 et sa pérennité économique doivent être garanties, déclare Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF. A l’approche des élections législatives de 2020, il est essentiel de préserver le pluralisme du paysage médiatique géorgien, mais aussi de réduire l’influence des patrons de presse et des partis politiques sur les lignes éditoriales.”
Rustavi 2 est passée de main en main depuis sa création en 1994 et les gouvernements successifs ont souvent cherché à la contrôler. Kibar Khalvachi en a pris le contrôle en 2004 dans des circonstances disputées, avant de la revendre deux ans plus tard sous la pression, affirme-t-il, de l’ancien gouvernement de Mikheïl Saakachvili. La chaîne est depuis lors restée proche du parti de ce dernier, le Mouvement national uni. Depuis l’arbitrage favorable à Kibar Khalvachi, un ancien ministre de la Défense et deux des fondateurs de la chaîne revendiquent à leur tour la propriété de Rustavi 2.
La loi géorgienne interdit aux partis politiques de posséder directement des médias, mais les grandes chaînes de télévision défendent généralement les intérêts économiques et politiques de leurs propriétaires. La Géorgie occupe la 60e place sur 180 au Classement mondial 2019 de la liberté de la presse, établi par RSF.