France : RSF se porte partie civile pour la journaliste Julie Hainaut - une affaire qui démontre la nécessité de renforcer la loi contre la haine en ligne

Reporters sans frontières (RSF) s’associe comme partie civile dans le procès d’un des harceleurs de la journaliste Julie Hainaut. Cette affaire, et la faiblesse de la réponse de la justice aux situations de cyberharcèlement, montre la nécessité de revoir la législation. RSF détaille ses propositions pour renforcer la loi sur la haine en ligne, qui est actuellement en discussion au Parlement.

Il aura fallu deux ans de procédures, cinq plaintes pour insulte, diffamation, incitation à la violence ou harcèlement -la plupart classées sans suite après de très maigres investigations- pour que s’ouvre enfin le procès d’un des harceleurs de Julie Hainaut, pour injure publique aggravée. La première audience aura lieu le 19 novembre prochain à Lyon.

Reporters sans frontières (RSF) a décidé de se porter partie civile pour demander la condamnation des harceleurs de journalistes. Cette affaire est aussi l’occasion de dénoncer les faiblesses criantes de la justice face à ces situations de harcèlement, le manque de formation des policiers et magistrats français, et l’absence de structure dédiée pour y répondre. Alors que la France légifère sur la haine en ligne, RSF appelle les parlementaires à renforcer largement le dispositif pénal en matière de cyberharcèlement.

La proposition de loi contre la haine en ligne : un dispositif pénal à renforcer

La proposition de loi déposée par la députée Laetitia Avia “visant à lutter contre les contenus haineux sur internet” a été adoptée à l’Assemblée nationale le 9 juillet 2019, et doit être examinée par les Sénateurs en décembre. Ce texte vise avant tout à renforcer largement la responsabilité des plateformes numériques, et propose plusieurs mécanismes pour mieux protéger leurs utilisateurs face à la haine et au harcèlement en ligne. 

RSF salue ce renforcement de la responsabilité des plateformes, mais la lutte contre le harcèlement sur internet devrait également passer par un meilleur traitement et suivi des plaintes en matière de cyberharcèlement. Or la proposition de loi n’apporte que peu de solutions sur ce point. Elle ne prévoit pas de renforcement des sanctions pour les harceleurs, pas de précisions sur les modalités de recueil et de traitement des plaintes, ni de formation spéciale des magistrats et policiers.

Le peu d’attention accordée par les policiers qui ont pris la plainte de Julie Hainaut, le peu d’entrain à enquêter qu'ils ont démontré prouve la nécessité d’informer, de sensibiliser et de former les policiers et magistrats amenés à traiter de telles affaires. 

RSF note toutefois une innovation intéressante : la création d’un parquet spécialisé en matière de lutte contre la haine en ligne. Le cas de Julie Hainaut montre en effet l’urgence de disposer de magistrats dédiés uniquement à l’enquête et la répression de la haine en ligne.

Cette proposition d’un parquet spécialisé, centralisé à Paris, éloignerait cependant la justice des citoyens. Une solution plus adaptée serait de créer des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS), dédiées aux infractions numériques. Regroupant des magistrats dédiés aux affaires de cyberharcèlement, déchargés des autres affaires, disposant de moyens spécifiques, et décentralisés au sein des tribunaux de grande instance en province.

L’affaire Julie Hainaut : une campagne de haine d’une rare violence pour un article sur le racisme ordinaire

Julie Hainaut, journaliste indépendante, fait l’objet depuis plus de deux ans d’une campagne de haine et de harcèlement en ligne d’une rare ignominie depuis qu’elle a, le 13 septembre 2017, relayé dans Le Petit Bulletin, un hebdomadaire culturel lyonnais, les propos plus que douteux sur l’époque coloniale des propriétaires d’un bar de Lyon. 

La journaliste a déposé plainte dès les premiers articles et messages haineux, pour injure publique, diffamation, et incitation à la violence. Une information judiciaire a été ouverte en juillet 2018, puis close, puis rouverte début 2019. Mais très peu de recherches ont réellement été initiées. 

En tout, la journaliste a déposé cinq plaintes. Les enquêteurs, qui n’ont pas semblé prendre très au sérieux l’impact sur la journaliste de ces menaces, ne l’ont jamais auditionnée, pas plus que les magistrats saisis du dossier. Ce n’est qu’à sa cinquième plainte, déposée en avril 2019, que la police a finalement retenu le motif de « cyberharcèlement ». Mais cette plainte a été classée sans suite. 

RSF considère que ce procès est un premier pas vers la justice, et s’est donc portée partie civile, aux côtés de la journaliste et du Syndicat national des journalistes (SNJ). L’individu qui sera jugé a relayé sur Facebook le premier article insultant Julie Hainaut, et doit être tenu responsable des propos qu’il a partagés. Cependant, l’initiateur de cette campagne, un individu bien connu de la “fachosphère”, qui se serait exilé au Japon, n’a jamais été inquiété. Bien que déjà condamné plusieurs fois par la justice française notamment pour incitation à la haine raciale, faisant l’objet d’une fiche S et d’une notice rouge d’Interpol, aucune demande de coopération judiciaire n’a été adressée à Tokyo.

La France, située à la 32e position dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2019, doit faire en sorte que cette personne soit jugée et condamnée.

Publié le
Updated on 15.11.2019