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21 juin 2013 - Mis à jour le 20 janvier 2016Enquête suspecte contre un journaliste de Sotchi
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Reporters sans frontières est vivement préoccupée par les incohérences et les violations de procédure qui entachent l’enquête ouverte contre le journaliste freelance Nikolaï Iarst (Николай Ярст). Ce reporter expérimenté, collaborant actuellement avec la chaîne de télévision publique OTR, a été arrêté le 23 mai à Sotchi (sud de la Russie) et inculpé pour “possession illégale de drogues” (article 228 du code pénal). Assigné à résidence, il risque dix ans de prison.
“Beaucoup de points posent question dans cette affaire. Pourquoi les circonstances de son arrestation ont-elles été présentées successivement sous plusieurs versions contradictoires ? Est-il confirmé que l’enveloppe contenant la drogue ne portait pas les empreintes digitales de Nikolaï Iarst ? Pourquoi la police a-t-elle mis une semaine à se rendre compte que les vêtements du journaliste portaient également des traces de narcotiques, et cela peut-il être considéré comme un élément de preuve dans la mesure où ces traces ont aujourd’hui disparu ? Et si le journaliste était réellement toxicomane, comment aurait-il pu commettre l’imprudence d’emporter de la drogue dans sa voiture pour un rendez-vous avec les forces de l’ordre ?” s’est interrogée Reporters sans frontières.
“La dernière investigation menée par le journaliste mettait en cause la police locale, dont un représentant aurait par ailleurs été en conflit personnel avec lui. La plus grande prudence est donc nécessaire. La meilleure façon de favoriser la manifestation de la vérité serait de dépayser l’affaire et d’ordonner un complément d’enquête. Les graves allégations de vices de procédure mises en avant par les avocats du prévenu devront être prises en compte, et s’il s’avère que l’affaire a été montée de toutes pièces contre le journaliste du fait de ses activités professionnelles, toutes les conséquences devront en être tirées.”
Le 23 mai 2013, peu avant 15 heures, Nikolaï Iarst et son cameraman Philippe Vasilenko (Филипп Василенко) se rendaient au Comité d’enquête (équivalent russe du FBI) de Sotchi, où ils avaient rendez-vous pour obtenir des informations dans le cadre de leur investigation. Leur véhicule a été stoppé en route par un officier de la police routière, qui aurait refusé de se présenter et affirmé que la voiture faisait l’objet d’un signalement. Dans la version présentée plus tard par le ministère de l’Intérieur, le véhicule a été arrêté parce qu’il avait enfreint le code de la route, puis le conducteur et les passagers se sont comportés “de manière étrange”, ce qui a motivé la fouille. Quoi qu’il en soit, de nombreux autres policiers sont immédiatement arrivés sur les lieux et l’un d’entre eux a découvert sur le siège arrière de la voiture une enveloppe contenant de la drogue.
Nikolaï Iarst a été interpellé, soumis à des analyses toxicologiques et mis en examen pour “possession illégale de drogues”. Après deux jours de garde à vue, et alors qu’une campagne de mobilisation en sa faveur était lancée, Nikolaï Iarst a été relâché et placé sous contrôle judiciaire. Une semaine plus tard, la police a déclaré qu’elle avait retrouvé des traces de drogues sur les vêtements que le journaliste portait lors de son interpellation - en quantité toutefois si infime qu’il n’en reste rien. Nikolaï Iarst a dès lors été assigné à résidence pour deux mois, avec interdiction de communiquer avec qui que ce soit à l’exception de son avocat et du juge d’instruction. L’enquête a été menée à bien en un temps record, et s’est close le 7 juin. Un complément d’enquête a été ordonné - pour un jour seulement. Les avocats sont actuellement en train de prendre connaissance des éléments du dossier, qui doit être validé par le parquet puis rapidement transmis au tribunal. Nikolaï Iarst nie intégralement les faits qui lui sont reprochés et affirme que l’affaire a été montée de toutes pièces contre lui en raison de ses activités professionnelles.
Au moment de son arrestation, Nikolaï Iarst enquêtait sur le cas d’une fillette de sept ans, retenue depuis le décès de sa mère par le compagnon de cette dernière. Le journaliste avait mis en évidence le peu d’empressement de la police et du Comité d’enquête à faire appliquer une décision de justice plaçant la fillette, héritière de parts dans des biens immobiliers et fonciers, sous la responsabilité de son père biologique. Ce qui suscite des soupçons de collusion entre certains membres des forces de l’ordre et la personne qui retient la fillette. Autre piste envisagée par la défense, Nikolaï Iarst aurait eu une altercation le 20 avril avec une personne se présentant comme un colonel de la police locale, qui l’aurait menacé de “représailles”.
De nombreux collègues et défenseurs des droits de l’homme locaux, y compris l’Union des journalistes de Russie, se sont mobilisés pour soutenir le journaliste et protester contre les accusations portées contre lui. Ses avocats tiendront une conférence de presse à Sotchi, le 27 juin à 15 heures.
Sotchi sera l’hôte des Jeux olympiques d’hiver de 2014. A cette occasion, Reporters sans frontières a lancé une campagne pour attirer l’attention sur la situation de la liberté de l’information en Russie et manifester son soutien aux acteurs de la société civile russe.
Image : profil de Nikolaï Iarst dans Vkontakte
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