Des journalistes ciblés par une violente campagne de diffamation

Reporters sans frontières est vivement préoccupée par la campagne de diffamation visant ces derniers jours plusieurs journalistes de premier plan, dans le quotidien islamiste et nationaliste Yeni Akit (Nouvel accord) et sur son site web, habervaktim.com. Ali Bayramoglu, Cengiz Candar, Hasan Cemal et Yasemin Congar y sont violemment mis en cause, notamment du fait de leurs prises de position sur la question kurde. C’est également le cas de plusieurs personnalités politiques. « En ciblant des personnalités engagées en faveur de la tolérance et de la paix, cette campagne cherche à enrayer toute évolution de la société turque. L’expérience a malheureusement prouvé combien ce type de discours essentialiste, xénophobe et paranoïaque était non seulement nocif, mais véritablement dangereux. Les mots ont un sens : les allégations portées à l’encontre de nos confrères les exposent à de réels dangers. Ce déchaînement de haine doit immédiatement prendre fin, et tout doit être mis en œuvre pour protéger les journalistes visés », a déclaré l’organisation. Le célèbre éditorialiste Ali Bayramoglu est depuis plusieurs semaines pris à partie par Yeni Akit, qui prétend qu’il est Arménien et qu’il « défend les thèses arméniennes sur une base raciste ». Connu pour son engagement en faveur des droits des minorités et son amitié avec le journaliste turc-arménien Hrant Dink, assassiné en 2007, Ali Bayramoglu n’est pour le quotidien qu’un « vil ennemi des Turcs », qui « cache même à ses amis qu’il est Arménien ». Sa participation à une conférence intitulée « En quête de solutions à la question kurde », au Royaume-Uni, serait censée prouver qu’il « soutient l’organisation terroriste » le Parti des travailleurs du Kurdistan - PKK]. Dans le numéro du 10 août 2012 de Yeni Akit, Hasan Cemal et Cengiz Candar sont à leur tour décrits comme de zélés propagandistes du PKK, favorables au séparatisme kurde. Dans un article intitulé « Les bombes de Sakik », censé reprendre une lettre du « repenti » Semdin Sakik, ancien leader du PKK aujourd’hui emprisonné, les deux journalistes sont qualifiés de « très précieux » pour l’organisation armée. « Comme (Hasan Cemal) n’a pas été autorisé à visiter Imrali (la prison où est détenu le chef du PKK, Abdullah Öcalan), il a pris le chemin de Kandil [la base arrière du PKK à la frontière turco-irakienne]. Il a glorifié le duo Öcalan-Karayilan », est-il écrit. A propos de Cengiz Candar, Yeni Akit n’hésite pas à affirmer qu’il « dépasse les fanatiques du PKK dès lors qu’il s’agit de faire l’éloge de l’organisation et de ses dirigeants ». Ces accusations réveillent de douloureux souvenirs dans la profession. Cengiz Candar et ses collègues Nazli Ilicak et Mehmet Ali Birand avaient été licenciés lors du dernier [coup de force des militaires, en février 1997, après avoir été mis en cause par d’autres « témoignages » de Semdin Sakik parus dans plusieurs quotidiens laïcs. Par la suite, il s’était avéré que ces « révélations » avaient été commanditées par des chefs d’Etat-major de l’époque. La plupart de ces derniers sont aujourd’hui inculpés dans le cadre des enquêtes en cours sur les manœuvres de déstabilisation du gouvernement civil. Une pétition, intitulée « Nous réclamons justice », a été lancée par plusieurs intellectuels et journalistes, dont les personnalités conservatrices Hilal Kaplan, Mehmet Bekaroglu, Ömer Faruk Gergerligolu et Emine Uçak Erdogan. Les signataires dénoncent l’« attitude irresponsable » de Yeni Akit, et réclament le respect des principes déontologiques et la fin de cette campagne d’intimidation. Le syndicat de journalistes TGC et l’organisation de défense des droits de l’homme IHD ont demandé à la police d’assurer la protection des journalistes. Hasan Candar et Ali Bayramoglu ont annoncé leur intention de porter plainte en justice contre le quotidien islamiste. La question kurde reste l’un des thèmes les plus sensibles à aborder pour les médias en Turquie. Ces derniers mois, la répression contre les militants pacifiques et les médias kurdes s’est encore intensifiée. Le procès de 44 journalistes de la presse pro-kurde, dont 36 sont en détention provisoire, doit s’ouvrir le 10 septembre 2012. La tension s’est encore accentuée depuis que le PKK, encouragé par la prise de contrôle de plusieurs villes du nord de la Syrie, a lancé une vaste offensive en Turquie, mi-juillet 2012.
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Updated on 20.01.2016