De nombreuses inconnues pour les médias au terme d’une campagne électorale tendue

C’est au terme d’une campagne sous forte tension que se tiennent aujourd’hui les élections législatives en Géorgie. Reporters sans frontières déplore l’extrême polarisation du paysage médiatique, condamne les nombreuses agressions de journalistes qui ont émaillé la campagne, et s’inquiète de récents développements législatifs aux conséquences lourdes pour les médias. Régression législative « Nous regrettons vivement l’adoption hâtive, par la Commission électorale centrale, d’un règlement empêchant les journalistes de faire leur travail dans les bureaux de vote. Pourquoi brider ainsi les droits des professionnels des médias le jour du scrutin ? », a demandé Reporters sans frontières. Dans la soirée du 25 septembre 2012, la Commission électorale centrale a adopté un règlement encadrant drastiquement la couverture des opérations de vote par les photojournalistes et cameramen. Ceux-ci ne peuvent travailler qu’avec l’autorisation expresse du président du bureau de vote. Même dans ce cas, ils ne sont autorisés à prendre les images qu’ils souhaitent que durant leurs dix premières minutes de présence. Par la suite, ils ne peuvent plus filmer et photographier que depuis la place réservée aux observateurs. Toute interview du personnel du bureau de vote doit se tenir à l’extérieur des locaux. Une fois qu’une caméra est sortie d’un bureau de vote, elle ne peut plus y rentrer. C’est par ailleurs aujourd’hui que cesse de s’appliquer la loi « must carry », qui a permis à toutes les chaînes importantes d’être retransmises par les bouquets satellitaires pendant la campagne électorale. Reporters sans frontières avait salué l’adoption de cette loi, fin juin 2012, comme un premier pas vers davantage de pluralisme dans le secteur audiovisuel, tout en déplorant que son effet soit limité dans le temps. « Il est très regrettable que cette loi ne s’applique plus au moment même où vont être annoncés les résultats du scrutin. Va-t-on revenir à la situation antérieure, caractérisée par une domination écrasante des chaîne pro-gouvernementales sur les bouquets satellitaires et le boycott par ces chaînes de ceux, comme Global TV, qui retransmettaient les chaînes d’opposition ? Nous en appelons à la nouvelle assemblée issue des urnes pour qu’elle rende permanente la disposition « must carry » et qu’elle élargisse son champ à la télévision terrestre, qui touche un nombre bien plus important de citoyens », a déclaré l’organisation. L’accès limité à l’information Signe de la forte polarisation de la société et des médias, la campagne électorale a été marquée par de nombreuses agressions à l’encontre de journalistes à travers le pays, notamment en marge de meetings politiques ou aux abords de bâtiments administratifs : à Mereti le 26 juin, à Karaleti le 12 juillet, à Beshumi le 4 août, à Lantchkhut le 15 août, à Gurdjaani le 17 août, à Akhmeta le 23 août, à Kazbegi le 9 septembre, à Poti le 14 septembre… D’autres ont été menacés, intimidés ou privés d’accès aux événements qu’ils souhaitaient couvrir. « Nous condamnons fermement ces actes de violence et d’intimidation, a déclaré Reporters sans frontières. Il est essentiel que des enquêtes sérieuses soient menées pour chacun d’entre eux et que les responsables soient punis, de manière à éviter que se mette en place un climat d’impunité. » De manière générale, de nombreux journalistes témoignent que l’accès à l’information, au sein des administrations comme des entreprises, est trop souvent difficile et parfois inéquitable. Polarisation et manque d’indépendance Si le contexte électoral l’accentue, la politisation du paysage médiatique géorgien est déjà très forte en temps normal. Elle touche aussi bien la presse écrite que les radios et les chaînes de télévision. Les bouleversements qui ont affecté le paysage audiovisuel ces dernières années sont autant de faits politiques marquants : ainsi, par exemple, de la prise de contrôle de la chaîne Imedi, anciennement d’opposition, par des hommes d’affaires proches du Président Mikhaïl Saakachvili. Ou du lancement, en mai 2012, de la chaîne TV9 appartenant à des proches du leader de l’opposition, le milliardaire Bidzina Ivanichvili. C’est cette chaîne qui a récemment révélé des pratiques de tortures en prison, un scandale qui a coûté leur poste à deux ministres et qui est largement perçu comme un tournant dans l’opinion. L’espace télévisuel est le théâtre d’une véritable guerre de l’information entre les chaînes pro-gouvernementales, telles qu’Imedi et Rustavi 2, et les chaînes proches de l’opposition comme TV9, Maestro et Kavkasia. Ces dernières sont désavantagées en termes de diffusion face aux premières, qui sont relayées efficacement sur l’ensemble du territoire. Dans ce contexte où l’orientation politique des médias est fortement corrélée avec l’identité de leurs propriétaires, l’indépendance des rédactions pose question. L’établissement de médias véritablement indépendants, avec des garanties fortes contre l’ingérence des propriétaires dans la ligne éditoriale et le développement du journalisme d’investigation, n’est pas le moindre des défis à relever par la Géorgie.
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Mise à jour le 20.01.2016