Confirmation en appel : Oumida Akhmedova est coupable

Reconnue coupable de "calomnie" et "d'insulte au peuple ouzbek" par le tribunal de première instance de Tachkent, le 10 février dernier, Oumida Akhmedova, photographe et réalisatrice ouzbèke, a vu cette décision confirmée en appel. Pendant près de trois heures d'audience, Sergueï Mayorov, son avocat, a cherché à prouver l'illégalité de la décision. Malgré tous ses efforts, la condamnation n'a pas été levée. Oumida Akhmedova et son avocat ont déclaré vouloir saisir la Cour suprême ou le procureur général de la République ouzbèke, dernières chances de voir l'arrêt cassé. ----------------------- 10.02.2010 - Reporters sans frontières soulagée pour la photographe Oumida Akhmedova, mais révoltée par l'hypocrisie de la justice ouzbèke "Nous sommes avant tout rassurés pour Oumida Akhmedova. Un incroyable degré d'absurdité aurait été atteint si elle s'était retrouvée derrière les barreaux pour son activité artistique", a déclaré Reporters sans frontières, à l'énoncé du verdict contre la photographe et réalisatrice ouzbèke. Le 10 février 2010, au terme de seulement deux jours de procès, un tribunal de Tachkent a reconnu Oumida Akhmedova coupable de "calomnie" et d'"insulte au peuple ouzbek", mais l'a aussitôt relâchée, jugeant qu'elle était éligible pour bénéficier d'une amnistie prononcée en août dernier. "En jugeant la photographe coupable, la justice ouzbèke établit cependant un précédent extrêmement dangereux. Faut-il encore répéter qu'Oumida Akhmedova a accompli son travail avec talent et courage et qu'elle n'est coupable de rien? Sa condamnation, même de principe, reste insupportable", a poursuivi l'organisation. L'artiste, accusée de dénigrer son pays dans ses œuvres sur la pauvreté et la condition des femmes, encourait un maximum de trois ans de prison en vertu des articles 139 et 140 du code pénal. L'accusation visait particulièrement un album photographique intitulé "Femmes et hommes : de l'aube au coucher", et un film sur le fardeau des coutumes nuptiales, "Le Poids de la virginité". "L'hypocrisie de ce verdict reflète la schizophrénie d'un régime soucieux de rompre son isolement international, mais répressif et paranoïaque vis-à-vis de ses citoyens. La communauté internationale doit lui imposer de choisir", a conclu Reporters sans frontières. ------------------------------------------- 04.02.2010 - Pour les autorités, donner à voir les réalités de la société ouzbèke revient à "insulter le peuple" Les poursuites judiciaires contre la photographe et documentariste ouzbèke Oumida Akhmedova sont absurdes et bafouent en elles-mêmes la liberté d'expression. Elles sont d'autant plus inquiétantes qu'elles ont déclenché une véritable campagne d'hystérie nationaliste et conservatrice. Le 23 janvier, Oumida Akhmedova a été officiellement informée que l'instruction de son affaire était close. Deux mois après avoir été convoquée pour la première fois auprès de la police de Tachkent, l'artiste devrait donc bientôt voir s'ouvrir son procès. Elle devra y répondre des chefs d'inculpation de "calomnie" (art. 139 du code pénal) et "insulte" au peuple ouzbek (art. 140), passibles d'un maximum de trois ans de prison, pour ses oeuvres illustrant la condition des femmes et la pauvreté en Ouzbékistan. Sont particulièrement visés son film "Le poids de la virginité" et l'album photographique intitulé "Femmes et hommes : de l'aube au coucher". Ce dernier, édité en 2007 avec le soutien du Programme pour l'égalité des sexes de l'ambassade de Suisse, contient 110 portraits et scènes de la vie quotidienne (voir un portfolio sur ferghana.ru). Le journaliste indépendant Alekseï Volosevitch soulignait dans un article récent que "c'est la première fois en Ouzbékistan que l'on s'apprête à juger une documentariste pour ses films et ses photographies ; qui plus est sur des thèmes non politiques, mais socio-ethnographiques". Dans une prose toute soviétique, un groupe d'"experts" a rendu compte, le 13 janvier, de son analyse prétendûment "scientifique" des photographies d'Oumida Akhmedova. Ce document, versé au dossier, accuse l'artiste de présenter une image délibérément faussée de l'Ouzbékistan en en soulignant les aspects négatifs. On reste pantois devant le ridicule et la mauvaise foi des arguments avancés : "90% des images ont été prises dans des villages ouzbeks isolés et sous-développés (...) Pourquoi ne montre-t-elle pas des images de belles places, de bâtiments modernes, ou de villages aisés?" Plus loin, Oumida Akhmedova est accusée pêle-mêle de "s'efforcer de présenter les femmes ouzbèkes comme des victimes", de "donner l'impression que l'Ouzbékistan n'est occupé qu'à faire le ménage", ou encore de "décrire les Ouzbeks comme des barbares". Hier soir, sur la première chaîne de la télévision publique, la persécution de la photographe a pris un nouveau tour. Après après avoir diffusé des extraits choisis de son film "Le poids de la virginité", les invités du talk-show "Thème actuel" se sont succédés pour dénigrer le travail d'Oumida Akhmedova et réclamer la condamnation la plus sévère à l'encontre de la documentariste, coupable à leurs yeux d'avoir "offensé les traditions et les sentiments nationaux du peuple ouzbek". Citant abondamment le président Islam Karimov, les participants ont également replacé le travail de la photographe dans le cadre d'une "guerre de l'information dirigée ces derniers temps contre le pays". Depuis l'indépendance du pays en 1991, la rhétorique nationaliste, glorifiant une identité et des traditions mythifiées, a pris le relais du discours communiste pour légitimer le pouvoir autocratique d'Islam Karimov. Ne tolérant aucune évocation des problèmes sociaux du pays, le régime semble se servir d'Oumida Akhmedova comme d'un bouc-émissaire pour distiller la paranoïa, et peut-être pour ménager une frange conservatrice et religieuse de la population qu'il persécute par ailleurs. Mais en décrivant la photographe comme un agent de déstabilisation à la solde de l'étranger, les autorités reconnaissent implicitement qu'un véritable débat de société est impensable en Ouzbékistan. Pourtant, l'exaspération de la société civile face aux atteintes répétées aux libertés a commencé de percer de manière très inhabituelle, pour un pays au régime si policier. Dans le cas d'Oumida Akhmedova, une vaste campagne de soutien a été lancée et a très vite dépassé les frontières du pays. Un comité de soutien s'est constitué et a lancé une pétition, relayée par l'agence de presse ferghana.ru, Radio Free Europe, et de nombreuses ONG internationales. L'Association internationale des critiques d'art a publié son propre appel aux autorités ouzbèkes pour qu'elles acquittent Oumida Akhmedova. Des critiques d'art d'Ouzbékistan et du Kazakhstan ont même rendu un rapport alternatif et corrosif sur l'"expertise" officielle de l'oeuvre de l'artiste, contestant ses conclusions et appelant ironiquement à juger ses auteurs pour "faible professionnalisme, incompétence (...) et ignorance, tendant à discréditer la justice ouzbèke". Dans une nouvelle offensive de charme en direction de la communauté internationale, Islam Karimov s'est récemment déclaré déterminé à favoriser la démocratisation de son pays, allant jusqu'à critiquer un Parlement "aux ordres" et une presse "inoffensive". Il doit désormais passer aux actes. - Voir le film "Le Poids de la virginité" - Signer la pétition - Lire la récente déclaration de Miklos Haraszti sur la persécution des journalistes en Ouzbékistan
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Updated on 20.01.2016