Bélarus : 15 recommandations RSF pour mettre un terme à quatre mois de répression contre la presse
Alors que près de 450 violations de la liberté de la presse ont été enregistrées en l’espace de quatre mois au Bélarus, Reporters sans frontières (RSF) présente une série de recommandations pour mettre un terme à une répression d’une ampleur sans précédent dans la région.
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Le Bélarus confirme son statut de pays d’Europe le plus dangereux pour les journalistes. Près de 370 journalistes ont été interpellés depuis le 9 août et 8 d’entre eux se trouvent à ce jour, en prison, pour avoir simplement exercé leur métier. Les forces de l’ordre ciblent délibérément et violemment les reporters couvrant des manifestations avec un objectif clair : museler la presse pour faire “disparaître” les mouvements de protestation, comme le montrent les données recensées par RSF et son partenaire local, l’Association biélorusse des journalistes (BAJ).
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VIOLATIONS
Des violations à la liberté de la presse ont été recensées dès le début de la campagne électorale, à partir du 8 mai 2020, avant d’exploser au lendemain du scrutin présidentiel du 9 août. En l’espace de quatre mois, le nombre d’exactions a quadruplé. En plus de nombreuses arrestations arbitraires, les retraits massifs d’accréditations, les perquisitions, les coupures et censures d’Internet, les entraves à l’impression et à la distribution de journaux sont devenus le quotidien des médias, qui travaillent dans un climat de plus en plus hostile.
368
ARRESTATIONS
Sur près de 370 interpellations de journalistes entre le 9 août et le 30 novembre, environ 80 ont débouché sur une peine de prison. Les autorités nient leur droit à couvrir les événements qui secouent le pays depuis quatre mois : la quasi-totalité des poursuites se fondent sur une prétendue “participation à un rassemblement illégal” ou “désobéissance à la police”, lors de procès inéquitables avec des “témoins” parfois anonymes ou absents.
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JOURNALISTE INTERPELLÉ CONDAMNÉ
Les interpellations débouchent de plus en plus systématiquement sur des condamnations. Plus d’un tiers de tous les journalistes emprisonnés l’ont été au mois de novembre. Sur cette même période, près d’un journaliste arrêté sur deux est envoyé en prison alors qu’ils étaient moins de 10% à être écroués en août.
Des peines de plus en plus longues
La durée de détention pour un journaliste au Bélarus ne cesse d’augmenter depuis l’élection présidentielle. Les condamnations sont de plus en plus lourdes : au mois d’août, un journaliste était condamné à cinq jours de prison en moyenne, aujourd’hui, un journaliste passe désormais une moyenne de 13 jours derrière les barreaux. Autre signe d’un durcissement du régime : depuis le mois de novembre, au moins sept journalistes sont poursuivis ou menacés de poursuites pénales et risquent plusieurs années d’emprisonnement.
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CAS DE TORTURE ET MAUVAIS TRAITEMENTS
Au moins 62 journalistes ont été victimes de violences, de mauvais traitements, voire de torture en détention, selon la BAJ. C’est le cas de Rouslan Koulevitch, de hrodna.life, brutalement arrêté et menacé de mort le 11 août dans l’ouest du pays à Hrodna, alors qu’il portait un gilet “presse”. Il a dû être hospitalisé après sa libération deux jours plus tard, pour des fractures aux deux avant-bras et une commotion cérébrale dues aux coups reçus lors de sa détention, pendant laquelle il est resté sans soin, et privé de nourriture. Aucune enquête n’a été ouverte malgré des preuves évidentes de violences, ni aucune sanction prise. A Hrodna comme partout ailleurs au Bélarus, policiers et gardiens de prison agissent en toute impunité.
Recommandations pour en finir avec la répression
Pour mettre un terme à cette répression et poser les nouveaux fondements pour la liberté de la presse au Bélarus, RSF adresse 15 recommandations aux autorités locales et aux instances internationales et demande notamment à l’Union européenne de geler tout versement d’aide financière à son voisin tant que les droits de l’homme sont bafoués.
Aux autorités du Bélarus :
1. Conformément aux recommandations du Rapporteur de l’OSCE sur la liberté d’expression et les médias émises le 5 novembre 2020 dans le cadre du Mécanisme de Moscou, RSF préconise de :
- Fournir un environnement sûr et favorable au travail des journalistes et des médias;
- Assurer la sécurité de tous les journalistes et s'abstenir de toute persécution liée à l'exercice de leurs fonctions ou entrave comme la saisie et la détérioration de leur matériel;
- Poursuivre et juger les individus accusés de violations commises à l’encontre de la liberté de la presse, dans le respect des standards internationaux.
- Enquêter rapidement sur toutes les allégations de torture, de mauvais traitements, de violence sexuelle, de disparition par un organisme indépendant;
- Faciliter l'accréditation des journalistes étrangers ;
- S'abstenir de toute interférence dans l'accès à l'internet, y compris l'internet mobile, et mettre fin à la censure et au blocage des sites d’information ainsi qu'à toute restriction imposée aux blogueurs ;
- Mettre un terme aux poursuites du ministère de l'Information visant à ne plus reconnaître le statut de médias de masse pour le site d’information TUT.by et débloquer les 70 sites web actuellement inaccessibles ;
- Permettre aux médias imprimés indépendants d'accéder aux services d'impression et de distribution ;
- Mettre fin à l'obligation de tous les médias de conserver des archives et de divulguer aux autorités les noms des personnes qui soumettent des commentaires;
2. Abandonner les poursuites pénales et les procédures administratives engagées contre des journalistes qui n'ont fait qu'exercer leur métier, et réviser les décisions pénales et administratives prises contre des journalistes qui n'ont fait qu'exercer leur métier;
3. Faciliter la visite du Rapporteur de l’OSCE dans le pays, des experts indépendants des Nations unies, et des procédures spéciales du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU;
4. S’engager dans le processus d’adhésion au Conseil de l’Europe par laquelle le Bélarus s’engagerait à se conformer aux obligations découlant de la Convention européenne des droits de l’homme, et donc à accepter la juridiction de la Cour européenne des droits de l’homme. Le pays pourra ainsi bénéficier de l’assistance technique de la Commission de Venise pour la démocratie et l’Etat de droit dans ce but.
Aux institutions européennes et États membres :
5. Offrir et renforcer un soutien aux journalistes et aux travailleurs des médias menacés, tel qu'un passage sûr à travers leur pays, un refuge et une assistance médicale si nécessaire.
- A la Commission et au Conseil de l’UE :
6. Geler tout versement d’aide financière au Bélarus provenant de l’instrument européen de voisinage* tant que ne seront pas respectées les valeurs communes et les valeurs fondamentales universelles, de l’Etat de droit et des droits de l’homme.
* (exception faite des aides affectées au soutien des organisations de la société civile et des acteurs non étatiques pour des actions de promotion des droits de l’homme et des libertés fondamentales)
- Au Conseil de l’UE :
7. Poursuivre les efforts de sanctions économiques et autres mesures restrictives à l'encontre des personnes physiques et morales impliquées ou soutenant les atteintes aux normes électorales internationales et au droit international relatif aux droits de l’homme, en particulier les atteintes à la liberté d’expression et aux médias.
8. Suspendre tout ou partie du financement de l'Union en cas de dégradation grave ou persistante de la démocratie, des droits de l'homme ou de l'Etat de droit au Bélarus. A cette fin, accélérer l'adoption du Règlement du Parlement européen et du Conseil offrant cette possibilité à la Commission dans le cadre de sa politique de voisinage.
Au Conseil de l’Europe :
9. Inclure la promotion et l’amélioration de la liberté de la presse, de la liberté d’expression et du pluralisme, jusqu’ici totalement absents du Plan d’action 2019-2021 pour le Bélarus, en en faisant l’un des objectifs et chantiers prioritaires de tout futur plan d’action, et en y attribuant les moyens et ressources nécessaires.
A l’OSCE :
10. Condamner systématiquement les attaques, intimidation, censure des journalistes et des médias aux Belarus, et exiger des enquêtes indépendantes et impartiales;
11. Demander fermement et activement la mise en place des recommandations sur la liberté d’expression et les médias adressées aux autorités du Bélarus par le Rapporteur de l’OSCE;
12. Instaurer un outil de suivi attentif des mesures prises par les autorités du Bélarus en vue de l’établissement des droits de l’homme, de la démocratie et de l’Etat de droit.
A l’ONU :
13. Condamner systématiquement les attaques, intimidation, censure des journalistes et des médias aux Belarus et exiger des enquêtes indépendantes et impartiales quand de telles atteintes sont commises;
14. Travailler avec les autorités du Bélarus pour faciliter l’implication des procédures spéciales de l’ONU dans la protection et la promotion des droits de l’homme au Bélarus, et - en particulier - celle de la Rapporteure spéciale pour la liberté d’expression.
15. Travailler avec les autorités du Bélarus pour que soit rapidement établi un bureau permanent de représentation du Haut commissariat aux droits de l’homme de l’ONU, afin d’apporter une assistance concrète pour un changement des pratiques en matière de droits de l’homme, avec une attention particulière pour l’amélioration de la liberté d’expression, du pluralisme et de la liberté des médias.
Dirigé par Alexandre Loukachenko depuis 1994, qui organise sa réélection tous les cinq ans dès le premier tour, le Bélarus occupe la 153e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse 2020 de RSF.