Armes numériques : pourquoi l’UE ne doit rien céder sur le contrôle de leur exportation

Un pas en avant pour la liberté de l’information. Reporters sans frontières salue le vote en commission parlementaire d’un texte visant à mieux contrôler l’exportation de technologies à double usage. La mise en oeuvre de cette réforme permettrait en effet aux journalistes de poursuivre leur travail sans risquer d’être espionnés et arrêtés dans les régimes autoritaires. RSF demande à présent au Parlement européen de voter le texte en séance plénière en janvier 2018. Sans céder, d’ici là, aux sirènes des lobbies industriels de ces sociétés de surveillance lucratives.

L’Union européenne va-t-elle arrêter de fermer les yeux sur la vente d’armes numériques ? Une réforme en cours pourrait enfin empêcher l’export par des start-ups européennes de ces logiciels utilisés pour traquer les journalistes dans des régimes autoritaires.


“L’enjeu, alors que le texte a été déjà approuvé par la commission parlementaire, c’est de ne rien lâcher, estime Elodie Vialle, Responsable du Bureau Journalisme et Technologie de RSF. Les parlementaires ne doivent pas céder aux sirènes du lobbying orchestré par ces sociétés qui commercialisent des technologies de surveillance. C’est là une occasion unique de montrer que le business s’arrête là où commence le respect des droits humains, et notamment celui de la liberté d’information.”


Des armes invisibles… mais bien réelles


L’objectif est de limiter l’export de ces logiciels qui permettent d’intercepter des conversations téléphoniques, de hacker des ordinateurs ou encore de déchiffrer des mots de passe. Ces technologies sont appelées “à double usage” car elles peuvent faire l’objet d’une double utilisation, civile ou militaire, à l’image du nucléaire, utilisé pour l’électricité… ou fabriquer des bombes.


Plusieurs pays de l’Union européenne sont concernés, comme l’Italie ou la France. Une société française, Amesys, avait ainsi vendu en 2007 à la Libye du colonel Kadhafi un système d’interception des communications en ligne nommé Eagle. Le Royaume-Uni fait également preuve de bienveillance à l’égard de ces exportations vers des régimes autoritaires.


Face à ces révélations gênantes pour les démocraties, l’affaire était entendue : plus jamais ! En 2014, l’Union européenne intègre les technologies à double usage dans le contrôle des exportations.


Pour l’instant, c’est toujours business as usual


C’était sans compter l’ingéniosité des sociétés technologiques - peu contrecarrée par des autorités, qui laissent faire. Amesys s’installe à Dubai sous le nom AMESys. Et le business continue. “As usual”, comme d’habitude. Cette fois-ci avec le régime du président Al-Sissi en Egypte. Début 2017, alors que la répression s’intensifiait en Turquie à l’encontre des journalistes, le département britannique du commerce international a de son côté accordé une licence pour exporter un logiciel d’interception des communications vendu aux autorités.


Conscients de la nécessité d’arrêter de vendre des armes numériques au nom de la croissance des start-ups européennes, la Commission européenne publie en septembre 2016 une proposition de loi pour mettre à jour et harmoniser la réglementation sur l’export des technologies à double usage. Après un long débat et un report du vote à deux reprises, la commission parlementaire du commerce international (INTA) vote le 23 novembre un texte visant à renforcer les contrôles sur l’exportation de ces technologies.


RSF salue notamment l’obligation légale faite aux entreprises de mettre en oeuvre une politique de “due diligence”, c’est-à-dire de vérifier que les logiciels exportés respectent bien les droits humains, ainsi que l’appel des parlementaires à plus de transparence, en demandant par exemple à ce que des informations plus détaillées sur la nature des biens concernés soient indiquées. RSF rappelle néanmoins la nécessité de mieux clarifier le processus de vérification auquel doivent se plier les entreprises pour les technologies de surveillance.


Le Parlement européen devrait voter le texte entre les 15 et 18 janvier 2018.

Les citoyens européens ont également le droit de savoir si leur pays vend des armes numériques aux dictatures. RSF suivra donc les négociations parlementaires de près dans les prochaines semaines.


Publié le
Updated on 01.12.2017