Arménie : les inquiétudes montent pour la liberté de la presse
A la veille de la prise de fonction du nouveau président Armen Sarkissian, le 9 avril 2018, Reporters sans frontières (RSF) alerte les autorités arméniennes sur le besoin d’améliorer la situation de la liberté de l’information dans le pays.
Le premier président arménien à être élu par le Parlement, Armen Sarkissian, prendra ses fonctions le 9 avril. Enrayer la dégradation de la liberté de la presse dans le pays sera un des enjeux majeurs de son gouvernement.
“Nous sommes inquiets des signaux négatifs qui affectent la liberté de la presse en Arménie, déclare Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF. Nous appelons le Parlement à revenir sur les récentes initiatives législatives qui réduisent le droit à l’accès à l’information et entravent le travail journalistique. Les autorités doivent mettre fin à l’impunité et mener des enquêtes complètes et impartiales sur les violences commises envers des journalistes.”
Le droit à l’information menacé
RSF s’inquiète d’une série d’initiatives législatives qui tendent à restreindre l’accès des journalistes à l’information d’intérêt général. La plus récente écarte les médias des lieux de pouvoir. Des amendements adoptés par le Parlement, le 23 mars, sans discussion préalable avec la communauté journalistique, prévoit que les ministres ne pourront plus accorder d’interviews sans l’autorisation du Premier ministre. Le Conseil des ministres et autres réunions gouvernementales se tiendront désormais à huis clos et ne seront ouvertes aux médias qu’à titre exceptionnel.
Une autre loi, votée le même jour, prive les journalistes d’accès à la mairie d’Erevan. Confinés dans un centre de presse séparé, ils ne pourront plus assister au conseil municipal sans autorisation préalable du maire. Cet amendement surprise n’est apparu qu’à la deuxième lecture du projet de loi, portant sur la gouvernance locale. Son adoption précipitée serait liée à un incident survenu au conseil municipal en février : les journalistes présents avaient pu filmer en direct l’usage de violence par des responsables municipaux et membres du parti au pouvoir contre une représentante de l’opposition.
Les représentants des médias et de la société civile arménienne se sont mobilisés en 2017 contre un projet de loi du ministère de la Justice, restreignant l’accès à l’information publique. Les dispositions envisagées sont bien moins libérales que le système en place depuis 14 ans. Bien que l’adoption du projet de loi ait finalement été reportée de six mois, en signe d’apaisement, en décembre 2017, les ONG locales réclament toujours son retrait pur et simple ou un processus réellement consultatif.
Le manque de consultation est un problème récurrent : ce n’est que deux mois après leur entrée en vigueur, début 2017, que les journalistes ont appris l’adoption d’importants amendements à la loi sur la protection des données personnelles. Cette réforme restreint drastiquement la collecte et la publication de données personnelles par les médias, désormais contraints d’obtenir le consentement des personnes concernées, quel que soit leur statut. En supprimant l’exception dont bénéficiaient les journalistes, cette loi contredit la loi arménienne sur les médias, qui autorise la diffusion d’informations sur la vie privée ou familiale à condition qu’elles relèvent de l’intérêt général. Au risque d’entraver sérieusement le journalisme d’investigation : des personnalités publiques de premier plan seront désormais fondées à poursuivre en justice des journalistes révélant certaines informations personnelles dans le cadre d’enquêtes sur la corruption par exemple.
Agressions en hausse, impunité persistante
Le nombre d’agressions envers les journalistes augmente de nouveau ces dernières années. Au moins 17 journalistes ont subi des violences au cours de l’année 2017.
La campagne des élections législatives de 2017 s’est avérée la période la plus tendue : Sisak Gabrielian, du service arménien de Radio Free Europe / Radio Liberty, Choghik Galstian et Hayk Petrossian, du site d’information Araratnews.am, ont été agressés le jour même de l’élection, près du quartier général d’un des candidats à Erevan. Trois autres journalistes avaient subi des violences pendant la campagne électorale. Plusieurs collègues ont reçu des menaces et ont été empêchés de couvrir le scrutin.
Une hausse des poursuites en diffamation
L’année 2017 s’est également caractérisée par une recrudescence du nombre de procès contre les journalistes et les médias. Le nombre de poursuites engagées a plus que triplé par rapport à l’année précédente, avec 60 plaintes enregistrées contre 17 en 2016.
Il n’y avait jamais eu autant de procédures depuis la dépénalisation de la diffamation en 2010. En mars 2017, pas moins de 30 plaintes ont été portées contre Daniel Ioannisyan, le fondateur du média en ligne Sut.am et de l’ONG Union des citoyens informés, à la suite de la publication d’une enquête sur les fraudes électorales. Elles n’ont cependant eu aucune suite au tribunal.
L’Arménie se situe à la 79e position sur 180 dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2017 de RSF, en recul de cinq places par rapport à l’année précédente.