Afghanistan : RSF exige comme préalable à toute négociation pour la paix la garantie de la liberté de la presse et la sécurités des journalistes
Alors que les efforts internationaux pour la paix en Afghanistan se multiplient, Reporters sans frontières (RSF) appelle les pays participants à la négociation à tout mettre en oeuvre pour protéger les médias et les journalistes. La communauté internationale doit exiger comme préalable à toute négociation avec les Talibans une déclaration et un engagement explicite à respecter les traités internationaux fondamentaux dans le domaine du droit humanitaire, à commencer par les Conventions de Genève.
Deux mois après sa nomination et après plusieurs tentatives de négociations avec les talibans et le gouvernement, Zalmay Khalilzad, l’émissaire américain pour l’Afghanistan, a annoncé le 18 novembre 2018, “la possibilité d’un processus de paix avec les talibans avant l’élection présidentielle prévue le 19 avril 2019. L'émissaire américain, qui pendant sa première mission en 2001, puis en tant qu'ambassadeur des Etats-Unis à Kaboul, avait une position extrêmement dure envers les Talibans, envisage cette fois-ci leur entrée dans un gouvernement d’union nationale.
De leurs côtés, les Russes ont multiplié les sommets pour la paix. Le 9 novembre, l’Inde, l’Iran, la Chine, le Pakistan et trois pays d’Asie centrale, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et le Turkménistan ont été réunis à Moscou, en présence d’une délégation composée de cinq dirigeants des Talibans conduite par Sher Mohammad Abbas Stanakzaï, ministre des Affaires étrangères du gouvernement du Mollah Omar. Les autres membres sont des anciens responsables militaires et politiques en fonction durant les périodes les plus noires du pays sous le régime des Talibans.
Les Etats-Unis ont insisté sur le fait que « toute discussion avec les Talibans devait passer par le gouvernement afghan ». Mais cela ne les a pas empêché d’entamer directement des négociations avec les délégations présentes au Qatar en octobre dernier.
Selon les informations recueillies par RSF, ces négociations en vue d’un éventuel accord de paix avec les Talibans est à l’ordre de jour de l'administration Trump. « Ils sont prêts à mettre en péril les acquis démocratiques du pays et de l’élection présidentielle”, explique à RSF un responsable du gouvernement afghan resté anonyme. Selon la même source, Zalmay Khalilzad a mis la pression sur le gouvernement pour reporter l’élection présidentielle du 19 avril.
2018 est l’année la plus meurtrière pour les journalistes depuis la chute des Talibans en 2001, avec 14 journalistes et collaborateurs des médias tués. Depuis 2001, les journalistes qui travaillent en Afghanistan ont payé un lourd tribut. Au moins 66 journalistes et collaborateurs des médias ont été tués en raison de leur travail d’information dans le pays, dont 16 journalistes étrangers (4 Allemands, 2 Américains, 2 Français, 2 Italiens, 2 Suédois, 1 Australien, 1 Canadien, 1 Norvégien, 1 Britannique). Et même temps plus 30 médias ont été attaqués et détruits et des centaines de menaces ont été recensées contre les journalistes et les médias. La majorité de ces actes criminels ont été commis par les Talibans et l’impunité demeure la règle.
«Nous appelons les pays participant aux négociations à tout faire pour protéger les journalistes et la liberté de la presse en Afghanistan, alerte Reza Moini, responsable du bureau Iran/Afghanistan de Reporters sans frontières. Il faut refuser de négocier avec les Talibans tant qu’ils ne s’engageront pas à respecter le droit humanitaire défini par les traités internationaux fondamentaux. La communauté internationale doit exiger comme préalable à toute négociation avec les Talibans une déclaration et un engagement explicite à respecter les traités internationaux fondamentaux dans le domaine du droit humanitaire, à commencer par les Conventions de Genève.»
Contacté par RSF, le porte-parole du président de la République, Shah Hossein Mortazavwi a insisté sur le fait que « pour le début des négociations, nous n’avons pas de conditions particulières. Mais pour l’accord de paix, la présidence a organisé des réunions consultatives avec la société civile. Les citoyens ont insisté sur l'importance de préserver les acquis démocratiques, notamment la liberté d'expression et de la presse. Bien sur le gouvernement s’engage à respecter et à assurer ces revendications fondamentales. »
De son côté, le porte-parole du mouvement islamiste, Zabihullah Mujahid, a expliqué négocier seulement avec les Américains, et non avec avec le gouvernement afghan, qu’ils considèrent illégitime. « Pour nous, la liberté de la presse est un principe utile pour les peuples, à condition qu’elle ne remette pas en cause les principes de la charia. Si grâce à la liberté d’expression, nous encourageons et promouvons le développement et le progrès dans la société, c’est bien. Mais la priorité pour nous reste l’islam. Le concept de liberté d’expression tel que le conçoit l’Occident est impossible à appliquer pour nous. Cette liberté d’expression qui méprise et insulte l’islam n’est pas autorisée.»
Dans plusieurs régions, les attaques contre les journalistes ont augmenté considérablement depuis deux ans dans le pays. Les journalistes se retrouvent pris en étau entre d’un côté, les Talibans et le groupe Etat islamique (Daesh) qui imposent leur guerre et leur haine contre la liberté de la presse et, de l’autre, les forces de police, l'armée et des miliciens « non officiels ». La liberté de l’information dans ces zones de conflits devient tout simplement inexistante, engendrant l’apparition de “trous noirs de l’information.” Les femmes journalistes sont les grandes perdantes de cette situation, la dégradation de la situation sécuritaire dans le pays ayant un impact direct sur la présence des femmes journalistes dans les médias.
L’expérience de ces 17 dernières années a confirmé que la paix et la sécurité sont les principales revendications du peuple afghan, mais que cela ne peut être réalisé et assuré sans des médias libres et indépendants et sans garantie pour la sécurité des journalistes.
RSF juge inacceptable que dans ces moments risqués, les démocraties engagées en Afghanistan et l’Etat afghan n’exigent pas comme préalable à toute négociation avec les Talibans une déclaration et un engagement explicite à respecter les traités internationaux fondamentaux dans le domaine du droit humanitaire, à commencer par les Conventions de Genève. Cette déclaration est une assurance pour la sécurité des journalistes. Les journalistes afghans ne doivent pas être découragés par les menaces des Talibans et le silence de la communauté internationale.
L’Afghanistan se situe à la 118e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2018 établi par Reporters sans frontiè