Ethiopie liberté presse journalisme

Les journalistes couvrant les tensions actuelles dans la région d’Amhara, au nord du pays, sont persécutés par les autorités éthiopiennes. Au moins 11 d’entre eux sont en détention pour avoir fait leur travail d’information. Reporters sans frontières (RSF) demande leur libération ainsi que celle de tous les professionnels de l’information abusivement emprisonnés dans le pays.

En Éthiopie, couvrir les conflits sévissant dans la région d’Amhara, peut conduire un journaliste en prison. C’est le sort qui a d’ores et déjà été réservé à 11 journalistes recensés par RSF depuis avril 2023, après une précédente vague d’arrestations en mai 2022. La seconde région la plus peuplée du pays est en proie à des tensions entre l’armée fédérale et des milices nationalistes depuis plusieurs années. Dans un pays modelé par les groupes ethno-régionaux, les Amhara sont marginalisés et régulièrement victimes d’exactions

Depuis que le premier ministre Abiy Ahmed a annoncé, en avril 2023, son projet de démantèlement des forces militaires régionales dans tout le pays, les combats se sont intensifiés. L’état d’urgence a été décrété dans la région d’Amhara le 3 août dernier. Trois jours plus tard, le fondateur et rédacteur en chef d’Alpha Media, Bekalu Alamrew, est arrêté par la police éthiopienne alors qu’il couvrait depuis plusieurs jours les combats entre l’armée fédérale et les milices locales. En détention depuis 10 jours, aucune charge ne lui a été signifiée et il n’a toujours pas été présenté devant une Cour de justice. Le directeur de la chaîne YouTube Amhara Media Center, Abay Zewdu, a lui été appréhendé le 10 août dernier. Il est, à ce jour, toujours en détention. Interpellé une première fois en avril 2023, il avait passé près de trois semaines en prison pour avoir couvert les questions politiques et sociales relatives à la situation des Amhara dans le pays. Yidnekachew Kebede, fondateur du média en ligne Negari TV, a été interpellé à son domicile dans la matinée du 17 août. Détenu par les autorités éthiopiennes au quatrième poste de police d'Addis-Abeba, il a couvert les récents événements survenus dans la région d’Amhara. 

Ces multiples arrestations s’inscrivent dans une tendance plus large de mise sous silence de toute voix critique sur l’action gouvernementale : des dizaines de milliers de personnes, supposées être activistes en faveur de la cause Amhara, ont été emprisonnées depuis le début de l’année. 

La fréquence des interpellations de journalistes - 10 depuis avril 2023- dans cette région, illustre la stratégie des autorités éthiopiennes d’empêcher les médias de couvrir en toute impartialité les tensions qui y font rage. Les journalistes ne peuvent plus émettre une critique ou aborder certains sujets, sous peine d’être arrêtés de façon arbitraire. Toutes ces violations rappellent tristement les abus de pouvoir des autorités durant la guerre du Tigré. RSF dénonce la persécution des professionnels de l’information et appelle à la libération immédiate de tous ceux qui sont injustement emprisonnés pour avoir couvert les tensions récurrentes dans la région d’Amhara. Ce territoire est en passe de devenir une zone privée d’information fiable.

Sadibou Marong
Directeur du bureau Afrique subsaharienne de RSF

Des arrestations successives

En avril 2023, huit journalistes ayant couvert des thématiques liées à l’ethnie Amhara ou au conflit dans la région du même nom, et dénonçant les abus du gouvernement ont été interpellés par les forces de l’ordre. Aucun n’a retrouvé la liberté depuis. 

Genet Asmamaw est l’un d’eux. Journaliste pour le média en ligne Yegna Media, elle couvre l’actualité du peuple Amhara, deuxième groupe ethnique du pays après les Oromo. Accusée d’incitation à la violence, la journaliste assure avoir été maltraitée par les agents qui l’ont arrêtée le 6 avril. Des propos corroborés par un enregistrement publié par plusieurs médias éthiopiens. 

La fondatrice et rédactrice en chef du média indépendant Ethio Nikat Media, Meskerem Abera, a vécu une histoire similaire. Arrêtée le 9 avril à son domicile, elle est suspectée, par les autorités, de financer les milices fanos (les milices régionales nationalistes de l’Amhara) présentes dans la région. C’est sa troisième détention en l’espace d’un an. Son procès est devenu viral dans tout le pays. Le média en ligne Ethiopia Insider a rendu compte, dans un article, les chefs d’accusation retenus contre la journaliste. L’Autorité éthiopienne des médias, organe de régulation du pays, a immédiatement demandé le retrait de cet article de défense de la journaliste. Pire encore, la police a menacé Ethiopia Insider de poursuites pour publication de fausses informations.

Le rédacteur en chef du média en ligne Negere Wolkait Media, Assefa Adane, a lui aussi été arrêté le 6 avril, le même jour que Genet Asmamaw, après la publication de plusieurs reportages sur le peuple Amhara. RSF n’a pas pu déterminer si le journaliste est encore en détention. Six jours plus tard, c’est le tour du cofondateur et rédacteur en chef du média en ligne Arat Kilo Media. Membre du comité exécutif de l’Association éthiopienne des médias, Dawit Begashaw a été arrêté à Bahir Dar, capitale de la région d’Amhara. Il avait critiqué avec véhémence le Premier ministre Abiy Ahmed dans des vidéos publiées par Arat Kilo et s'était prononcé, dans un éditorial, contre le démantèlement de la force spéciale Amhara.



Violences contre les médias

Au-delà des arrestations des journalistes, les médias qui publient des informations sur les conflits dans la région Amhara et leurs impacts sur les populations, sont la cible d’autres types de violences. Le cambriolage des locaux du média Ethiopia Insider dans la nuit du dimanche 16 juillet en est l’exemple. “Des caméras ont été volées, mais les batteries n’ont pas été prises. Les cambrioleurs ne cherchaient pas à se faire de l’argent, mais à nous empêcher de travailler”, estime un membre du média contacté par RSF. Faute de moyens, Ethiopia Insider a dû cesser toutes ses productions vidéo. En mars, des individus non-identifiés se sont introduits dans les locaux de la web télé Ethio 251, pourtant gardés par la sécurité gouvernementale. Les pertes de ce média majoritairement présent sur YouTube sont estimées à plus de 30 000 euros, qu’ils ont pu recouvrir grâce à une cagnotte en ligne. Les bureaux étaient aussi utilisés par deux autres médias précités : Arat Kilo et Negere Welkait.

La stigmatisation des journalistes et des médias couvrant les conflits dans le pays ne date pas d’aujourd’hui. Lors du conflit dans la région du Tigré entre novembre 2020 et novembre 2022, les autorités s’en étaient déjà pris aux journalistes, pour leur ordonner de soutenir l’armée et de taire le sort des civils et les exactions commises. Certains journalistes ont même dû quitter le pays à cause des menaces à leur encontre. Mais lorsqu’ils fuient à l’étranger, les journalistes ne sont pas pour autant à l’abri. Le 6 mai dernier, Gobeze Sisay, journaliste fondateur de la chaîne YouTube The Voice of Amhara, en exil à Djibouti, a été extradé puis détenu dans le centre d’enquête criminelle dans la capitale Addis-Abeba. Le journaliste est accusé d’actes terroristes parce qu’il aurait coopéré avec les forces extrémistes de la région d’Amhara pour renverser la direction régionale.

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