États-Unis – Le groupe de presse, propriétaire du Denver Post, empêche la publication d’articles sur ses propres coupes budgétaires
L’éditorialiste du Denver Post Chuck Plunkett a démissionné après que le propriétaire de son journal – Digital First Media (DFM), a empêché la publication d’articles concernant des coupes budgétaires au sein du groupe de presse. Reporters sans frontières (RSF) dénonce un nouveau cas d’ingérence éditoriale aux Etats-Unis, quelques semaines seulement après l’affaire Newsweek.
Chuck Plunkett, éditorialiste en chef de The Denver Post, dans le Colorado, a présenté sa démission le 3 mai dernier après que la direction de la société propriétaire du journal, Digital First Media (DFM), a refusé la publication d’un dossier accusant le fonds spéculatif Alden Global Capital (AGC), lui-même propriétaire de DFM, de coupes budgétaires et de licenciements à son propre profit. Le départ de Chuck Plunkett a également été motivé par le licenciement, le 25 avril, de Dave Krieger, éditorialiste en chef du Daily Camera, propriété de DFM, qui a « auto-publié » un article critiquant DFM et AGC après avoir été lui aussi empêché de le diffuser dans son propre journal.
Les coupes budgétaires subies par les titres de DFM à travers tout le pays ont rapporté 160 millions de dollars au groupe de presse pour l'exercice 2017, dont 28 millions de dollars du seul Denver Post. DFM, le deuxième groupe de presse national, aurait supprimé deux postes sur trois dans l’ensemble de ses rédactions depuis qu’il en est devenu propriétaire en 2011. Au cours du seul mois de mars, 30 rédacteurs du Denver Post ont été mis à pied. Dans une tribune publiée dans Rolling Stone, Chuck Plunkett a également avancé que l'impressionnante marge d'exploitation de 17% réalisée par DFM résultait directement de coupes budgétaires imposées aux titres qu’il détient dans tout le pays.
Chuck Plunkett affirme par ailleurs avoir reçu des consignes selon lesquelles il devait soumettre à un comité composé des hauts dirigeants de DFM tous les articles d'opinion au moins trois jours avant la date de leur publication. Selon Chuck Plunkett, il lui était formellement interdit de mentionner AGC ou DFM. Tony Adamis, rédacteur en chef de Daily Freeman, à New York, a déclaré avoir également reçu les mêmes consignes pour les articles sur les propriétaires du groupe. Adamis avait diffusé un papier de l'AP sur les coupes budgétaires. Il a transmis ces instructions aux membres de la rédaction par courriel le 24 avril.
"L’ingérence éditoriale avérée dans les publications du groupe Digital First Media et du fonds spéculatif Alden Global Capital constitue un mépris profond de l’indépendance et de l'éthique journalistique," déclare Margaux Ewen, directrice de RSF pour l'Amérique du Nord. "En s'ingérant dans les décisions éditoriales de leurs rédactions à des fins de censure des reportages révélant l'impact de leurs pratiques financières sur leurs journaux, DFM et AGC empêchent directement leurs journalistes d’exercer leur mission d’information."
Après le départ de Plunkett, 55 des 70 membres de la rédaction du Denver Post ont publié une lettre le 7 mai dans le Denver Newspaper Guild condamnant la censure infligée à leur éditorialiste. Plusieurs cadres du Denver Post, dont les rédacteurs en chef Dana Coffield et Larry Ryckman, le président et membre du comité de rédaction Dean Singleton - qui fut propriétaire du journal de 1987 à 2013 - et la directrice du pôle numérique Becky Risch, ont remis leur démission dans les jours qui ont suivi.
Ces événements surviennent plusieurs mois après la récente tentative du Newsweek Media Group (NMG) de censurer la rédaction de Newsweek. L'entreprise a fait l'objet de vives critiques après avoir licencié plusieurs journalistes. Ceux-ci avaient dénoncé des cas de corruption financière de haut niveau et des actes répréhensibles impliquant les cofondateurs du groupe, ce qui a entraîné la démission de plusieurs journalistes en signe de protestation. Dans le sillage de cet incident, il est préoccupant qu'un autre groupe suive les traces du NMG en tentant de porter atteinte à l'indépendance éditoriale de ses journaux.
Les États-Unis se classent 45 sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2018 de RSF, perdant deux places par rapport à 2017.