À l’aube d’un vote crucial en Moldavie, RSF demande l’instauration d’un cadre légal clair pour lutter contre la désinformation russe

Les citoyens moldaves vont voter ce dimanche 20 octobre, à la fois pour leur président et pour l’adhésion ou non à l’Union européenne (UE). Derrière ce double scrutin aux enjeux forts se cache une bataille pour la préservation du droit à l’information fiable en Moldavie. À quelques jours du vote, Reporters sans frontières (RSF) alerte sur les atteintes portées à l’intégrité de l’espace informationnel moldave et appelle à soutenir la mise en place de mesures de protection. 

Inutilité du référendum sur l'adhésion à l’Union européenne, volonté du gouvernement d’effrayer le public avec la guerre russe en Ukraine et de compromettre la souveraineté moldave en acceptant toutes les conditions de l'UE… En Moldavie, à la veille d’une élection présidentielle couplée d’un référendum sur son avenir européen, deux hommes d’affaires pro-Kremlin ont dépensé plus de 136 000 euros en trois mois pour diffuser sur Facebook ce type de narratif pro-russe, selon une étude du think tank moldave WatchDog. L’un d’eux, Ilan Shor, chef d’un parti d’opposition et propriétaire de médias – considéré comme le principal relais de l’influence russe dans le pays –, vit en exil pour échapper à une condamnation pour corruption.

Aux prises avec un territoire séparatiste pro-russe, dotée d’une forte audience russophone, la Moldavie se révèle un terrain privilégié pour la propagande pro-Kremlin, en particulier depuis l’invasion russe de son voisin, l’Ukraine. La présidente Maia Sandu, candidate à sa succession, a fait de la lutte contre la désinformation russe un sujet prioritaire, alors que les négociations d’adhésion à l’UE ont débuté en juin. 

Blocage de sites et de chaînes

Le 4 octobre, le Service d’Intelligence et de Sécurité (SIS) moldave a ainsi ordonné le blocage des sites de la chaîne locale en ligne MD24, liée selon lui à Ilan Shor, en même temps que plusieurs plateformes russes, en raison du “niveau élevé de désinformation”. Le 25 septembre, le SIS avait interdit sept sites de médias russes de propagande, dont l’agence de presse d’État Ria Novosti, en raison de “risques pour la sécurité nationale”. Par ailleurs, les licences de cinq chaînes de télévision diffusant de la propagande pro-russe ont été révoquées le 30 mai dernier, pour “financement opaque” ne permettant pas d’établir une indépendance suffisante. 

“La désinformation russe est un véritable fléau en Moldavie. Elle sert de relais au discours belliciste du Kremlin et contribue à une polarisation extrême du débat public moldave. De telles ingérences malveillantes dans le champ de l’information appellent des réponses fermes mais plus nuancées que les interdictions de chaînes et la censure des sites qui les relaient, au risque de créer un dangereux précédent contre la liberté de la presse. Pour préserver le droit à l’information fiable des citoyens moldaves, RSF appelle à la mise en place d’un système de protection préventif et aligné sur le respect des principes démocratiques.

Jeanne Cavelier
Responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF

Manque d’indépendance

Le Conseil pour la promotion d'investissement des projets d'importance nationale, à l’origine de la révocation des licences des chaînes, est présidé par le Premier ministre et composé essentiellement de représentants ministériels. Au nom de la lutte contre la désinformation, ce Conseil dispose du pouvoir d’autoriser ou d’interrompre la diffusion d’un média, sans consultation du pouvoir législatif ou judiciaire. Il a en effet hérité de prérogatives inédites de la Commission pour les situations exceptionnelles. Celles-ci ont été transférées dans le droit national après la levée le 30 décembre 2023 de l’état d’urgence, déclenché au premier jour de l’invasion russe à grande échelle de l’Ukraine.

Le 16 décembre 2022, cette Commission pour les situations exceptionnelles avait suspendu les cinq chaînes de télévision affiliées aux hommes d’affaires Ilan Shor et Vladimir Plahotniuc – Primul în Moldova, Accent TV, Orizont TV, Canal 2, Canal 3, de même que la chaîne RTR Moldova. Leur suspension avait été reconduite le 30 octobre 2023, au motif que celles-ci avaient caché l’existence de comptes en banques liés à leur financement. Le même jour, 31 sites étaient également bloqués pour leurs liens avec le Kremlin, dont ceux des médias d’État russe TASSRossiyskaya Gazeta ou encore Sputnik Radio.

Éducation aux médias

Parallèlement à cette approche répressive, la Moldavie tente de contrer la propagande par l’éducation du public aux médias. C’est l’un des enjeux du Centre de communication stratégique et de lutte contre la désinformation, officiellement créé le 17 janvier dernier après un vote du parlement le 31 juillet 2023. Cette agence ne répond pas non plus à l’impératif d’indépendance politique. La présidente Maia Sandu a proposé au parlement une seule candidate pour en prendre la tête, l’ancienne ministre de l’Intérieur Ana Revenco, imposant de fait sa nomination. Contactée par RSF, celle-ci insiste sur l’aspect purement consultatif du Centre, dont le monitoring, l’analyse, les campagnes de sensibilisation et de formation visent à “créer un environnement d’information résilient et à réduire l’impact de la désinformation sur la société moldave”.

Les mesures prises par les autorités moldaves pour lutter contre la désinformation russe, bien que justifiées par des motifs légitimes, peuvent donner l’impression d’une répression arbitraire en l’absence de gardes-fous de nature à préserver l’indépendance des décisions et le respect de l’équilibre des droits et libertés. 

Recommandations de RSF

RSF appelle le gouvernement moldave à se doter d’un programme de lutte contre les ingérences informationnelles malveillantes, sans compromettre son attachement aux principes démocratiques. À cet effet, RSF formule les recommandations suivantes :

  1. Imposer aux plateformes numériques une obligation d’amplification des sources fiables d’information moldaves, identifiées comme telles sur la base de systèmes d’autorégulation tels que la Journalism Trust Initiative (JTI);
  2. Établir des règles du jeu équitables entre tous les médias disponibles en Moldavie, c’est-à-dire que les médias issus de pays tiers – dont la Russie – soient soumis aux mêmes obligations déontologiques quel que soit leur mode de diffusion ;
  3. Mettre en place, sous la supervision d’une autorité de régulation indépendante, des conditions d’accès à l’espace informationnel moldave qui sont fondées sur le respect de la liberté d’expression, du pluralisme et de l’indépendance des médias dans le pays tiers concerné. 
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