La propriété des médias en Ukraine : une influence informelle exercée via des montages économiques obscurs

Renforcement de l’influence des hommes politiques sur les médias, multiplication de montages offshore pour masquer des propriétaires influents, faible application du droit des médias,... Telles sont les récentes conclusions de l’enquête menée par Reporters sans frontières (RSF) et l’Institut ukrainien d’information de masse (IMI) dans le cadre du projet Media Ownership Monitor.

Il y a un an étaient publiés les premiers résultats de l’étude sur la propriété des médias en Ukraine menée conjointement par RSF et IMI. Cette année encore, les deux organisations s’associent pour présenter une actualisation de leur enquête dès à présent disponible en ukrainien et en anglais sur ukraine.mom-rsf.org. Celle-ci s’inscrit dans le cadre d’un projet de recherche mondial, le Media Ownership Monitor, qui vise à promouvoir la transparence et le pluralisme des médias au niveau international.


Comme l’explique la responsable de l’IMI, Oksana Romaniuk, « les propriétaires privés continuent à dominer le marché des médias en Ukraine, et si l’on se réfère aux propriétaires de médias audiovisuels nationaux, presque tous appartiennent à certaines des personnes les plus riches du pays. Bien que les noms des propriétaires de médias soient pour la plupart bien connus, les structures des sociétés qui se trouvent derrière restent le plus souvent cachées à l’aide de sociétés offshore et de pratiques commerciales nébuleuses. Ce manque de transparence contribue à créer une situation dans laquelle la politique éditoriale des médias ukrainiens reste tributaire des intérêts de leurs propriétaires».


PLUS DE PROPRIÉTAIRES POUR MOINS DE TRANSPARENCE


Les parts possédées par l’homme d’affaires Ihor Kolomoyskyi dans la structure propriétaire de la chaîne de télévision nationale 1+1 se sont considérablement réduites en 2017, bien que ce dernier en reste le propriétaire effectif. 1+1 est l’une des chaînes les plus regardées en Ukraine (10,6 % de parts d’audience [1]). La chaîne appartient au groupe de médias 1+1 media group que possède Ihor Kolomoyskyi, l’homme-clé du groupe industriel et financier « Privat », actif dans les secteurs de l’industrie pétrolière, métallurgique, minière, chimique et de la finance (http://t1p.de/ilg1).


Selon le Conseil national de télévision et de radiodiffusion d’Ukraine, le 30 juin 2017, les parts que possédaient Ihor Kolomoyskyi et son partenaire Ihor Surkis, président de la Fédération de Football et copropriétaire du club de football « Dynamo » (http://t1p.de/nxf4), constituaient respectivement 24,9 % (en avril 2017 : 57,5 %) et 24,7 % (en avril : 24,6 %) du capital. Les documents relatifs au changement de propriété montrent qu’Oleksandr Tkachenko, directeur général de 1+1 media group, ainsi que d’autres membres du personnel ont acheté des parts. Ils sont devenus actionnaires minoritaires de la chaîne de télévision 1+1 et copropriétaires de l’entreprise étrangère 1+1 Production.


Roman Golovenko, avocat des médias au sein de l’IMI, estime que ces changements ressemblent davantage à une diminution de la transparence relative à la structure propriétaire de la chaîne de télévision qu’à un changement de propriétaire effectif.


DES STRUCTURES OFFSHORE COMPLEXES MASQUENT DES PROPRIÉTAIRES INFLUENTS


Les changements de la structure propriétaire de 1+1 résultent principalement du transfert des droits de société de cinq entreprises offshore à un groupe d’individus, chacun d’entre eux possédant moins de 10 % de l’entreprise de télévision et de radio. Selon l’avocat de l’IMI, Roman Golovenko, les groupes d’individus au sein desquels des droits de société sont répartis de cette façon sont appelés des « équipes de football », car chaque groupe doit être constitué d’au moins onze membres pour que chacun d’entre eux possède moins de 10 % des parts. Le rapport n’exige pas que les identités des individus possédant moins de 10 % des parts soient divulguées.


L’un des autres changements majeurs relatifs à la propriété des médias a été révélé mi-août : selon l’information du Registre national des personnes morales et entrepreneurs individuels, l’ancien premier ministre Arseniy Yatsenyuk (http://t1p.de/25wf) est devenu copropriétaire de la chaîne de télévision privée Espreso TV. Yatsenyuk et Inna Avakova, épouse de l’actuel ministre de l’Intérieur, ont également acquis respectivement 30 et 40 % de la SARL « Goldberry », propriétaire d’Espreso TV.


UN MARCHÉ TV ET RADIO TRÈS CONCENTRÉ


L’étude du MOM montre que l’influence politique sur les médias ukrainiens reste très importante, tout comme l’an dernier. Dix chaînes de télévision, sur les douze sélectionnées dans le cadre de l’étude, sont directement et indirectement liées à des hommes politiques ou à des personnalités entretenant des liens étroits avec la sphère politique. Les structures propriétaires des médias audiovisuels restent très concentrées : plus des trois quarts des téléspectateurs ukrainiens ne regardent que les chaînes des quatre propriétaires les plus importants : Viktor Pinchuk (StarLightMedia), Ihor Kolomoyskyi (1+1 Media), Dmytro Firtash (Inter Media) et Rinat Akhmetov (Media Group Ukraine). De même, plus de 92 % des auditeurs écoutent les quatre principaux groupes de stations de radio.


LE DROIT DES MÉDIAS RESTE FAIBLEMENT APPLIQUÉ


L’Ukraine a adopté un certain nombre de textes législatifs très élaborés, comme “l’amendement de certaines lois ukrainiennes garantissant la transparence de la propriété des médias de masse, ainsi que la mise en place de directives gouvernementales dans le domaine de la radiodiffusion et de la télédiffusion “, approuvés par le parlement ukrainien le 3 septembre 2015. Cette loi vise à améliorer la réglementation et les dispositions en faveur de la transparence des médias. Mais comme dans de nombreux pays dotés d’institutions faibles telles que le Conseil National, et face à une forte influence politique souvent appuyée par de puissantes entreprises, la mise en œuvre de ce type de lois est à la traîne et contribue à créer un sentiment de frustration et de défiance au sein de la population.



Lancé par Reporters sans frontières (RSF), le projet Media Ownership Monitor est une initiative mondiale de recherche et de mobilisation visant à promouvoir la transparence et le pluralisme des médias au niveau international. En Ukraine, il a été mené en collaboration avec l’Institut d’information de masse (IMI) entre juillet et octobre 2016. L’échantillon des médias étudiés regroupe 41 organes de presse : 12 chaînes de télévision, 10 stations de radio, 9 journaux imprimés et 10 publications en ligne.


Le projet est financé par le gouvernement allemand. Des études nationales ont pour l’instant été publiées en Colombie, au Cambodge, en Tunisie, en Turquie, en Ukraine, au Pérou, aux Philippines, en Mongolie, en Serbie et au Ghana. Cette année, MOM enquête sur les marchés des médias au Brésil, au Pakistan et au Maroc. Pour plus d’informations, rendez-vous sur le site Internet : http://www.mom-rsf.org


[1] Les parts d’audience communiquées datent de 2016, au moment où l’étude a été menée. Source : http://ukraine.mom-rsf.org/en/ukraine/about/faq/



Contact presse:


Reporters sans frontières Allemagne

Ulrike Gruska / Christoph Dreyer / Anne Renzenbrink, chargés des relations avec les médias

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Tél.: +49 30 60 98 95 33-55


Institut d’information de masse

Maksym Ratushny

[email protected]

+380 50 44 77 063

Publié le
Updated on 09.10.2017