Convoqué par le groupe des Etats arabes, le nouveau Conseil des droits de l'homme a adopté, sans dialogue, un texte qui passe sous silence les tirs du Hezbollah sur les civils israéliens. Reporters sans frontières dénonce une instrumentalisation du Conseil au profit d'intérêts politiques.
Le nouveau Conseil des droits de l'homme (CDH) est décidément bien mal parti. S'il en était besoin, la réunion spéciale sur le Liban qu'il a tenue le 11 août à Genève en a fourni une illustration supplémentaire, après le déroulement chaotique de sa session inaugurale fin juin et le spectacle tout aussi affligeant donné quelques jours plus tard à l'occasion d'une première réunion extraordinaire sur la Palestine, convoquée à la demande du groupe des Etats arabes et de l'Organisation de la conférence islamique (OCI).
Alors que les hostilités entre le Hezbollah et Israël faisaient rage depuis près d'un mois, ces pays ont attendu le feu vert d'une session spéciale de l'OCI réunie à la hâte le 3 août en Malaisie pour réclamer une session spéciale du CDH consacrée au Liban. Parmi les 16 Etats qui ont appuyé cette requête figuraient également la Chine, Cuba et la Russie, le tiers des 47 membres du Conseil étant requis pour convoquer une séance extraordinaire. Le résultat étant couru d'avance, la résolution présentée par une vingtaine de pays de l'OCI et mettant seul Israël en cause a été adoptée par 27 voix contre 11 et 8 abstentions, en l'absence de Djibouti. A une ou deux voix près, un score identique aux deux précédentes résolutions tout aussi unilatérales, votées précédemment par le CDH sur la Palestine.
Comme aux pires moments de la défunte Commission dont le Conseil est censé pallier les carences et remédier aux excès, une majorité automatique et de blocage impose sa loi et n'en fait qu'à sa guise. D'ailleurs, cet organe subsidiaire de l'Assemblée générale n'avait pas hésité à se réunir en session spéciale le jour même où le Conseil de sécurité était lui-même saisi de la situation au Liban et devait adopter la résolution 1701 appelant à la cessation des hostilités. Et cela en violation flagrante de l'article 12 de la Charte de l'ONU, qui stipule expressément « tant que le Conseil de sécurité remplit, à l'égard d'un différend ou d'une situation quelconque, les fonctions qui lui sont attribuées par la présente Charte, l'Assemblée générale ne doit faire aucune recommandation sur ce différend ou cette situation... »
Pendant ce temps, le CDH se livrait à une surenchère stérile sans aucune prise sur la réalité. N'acceptant pas le moindre débat sur un sujet aussi grave et refusant d'entrer en matière sur d'éventuels amendements, les promoteurs de la résolution ont réduit cette séance spéciale à une suite de monologues et de gesticulations en vase clos. Alors qu'Israël était unilatéralement condamné, la résolution ne fait pas la moindre référence aux attaques du Hezbollah contre des cibles civiles du nord de l'Etat hébreu. Tout au plus un paragraphe rajouté par le Pakistan au projet initial demande-t-il « instamment à toutes les parties concernées de respecter les règles du droit humanitaire international. »
Seul point positif, le CDH se dit « préoccupé par les attaques dont font l'objet les réseaux de communication et les médias au Liban. » Enfin, il a décidé d'établir d'urgence une commission d'enquête sur « le meurtre systématique par Israël de civils au Liban ». La résolution ne tient aucunement compte de l'avertissement du Haut commissaire aux droits de l'homme, Louise Arbour, qui avait réclamé une enquête portant aussi bien sur les bombardements israéliens que sur les tirs de roquettes contre les localités du nord d'Israël et « les allégations répétées sur l'utilisation par le Hezbollah de boucliers humains ».
Dans son explication de vote, la Finlande a déploré, au nom de l'Union européenne, que le texte ne « traite que des inquiétudes causées par une seule des parties ». La France a regretté qu'une discussion n'ait pas été possible sur le texte de la résolution afin de le rendre plus équilibré : « Nous avons souhaité que la création du Conseil soit un nouveau départ pour le traitement des questions de droits de l'homme, et nous n'acceptons pas que les textes présentés soient à prendre ou à laisser ». Pour leur part, le Canada et les Etats-Unis - ces derniers présents simplement comme observateur - ont rejeté d'emblée des débats « inutiles et contre-productifs » venant contrecarrer les efforts entrepris par le Conseil de sécurité. Quatre pays africains (Cameroun, Gabon, Ghana et Nigeria) se sont abstenus au moment du vote, le Conseil ne portant pas la même sollicitude aux drames récurrents que connaît l'Afrique, notamment au Darfour.
Le Conseil nouvelle mode des droits de l'homme aux Nations unies s'ingénie à prendre le relais des dérives qui ont fait sombrer la Commission en empruntant la même voie perverse de l'instrumentalisation au profit d'intérêts politiques. Déjà diluées par une fragmentation dans le temps, ses activités s'installent dans la routine onusienne en gâchant les occasions pour s'enliser dans le déclamatoire et enrichir les dossiers sur les étagères. Faut-il déjà dire « dommage » ?
Jean-Claude Buhrer, journaliste, pour Reporters sans frontières