France : Sur un recours de RSF, la décision historique du Conseil d’État dans le dossier Arcom/CNews

En réponse au recours de Reporters sans frontières (RSF), la décision du Conseil d’État d’annuler le refus de l’Arcom d’agir contre CNews constitue un tournant dans la mise en œuvre des principes de pluralisme et d’indépendance de l’information. RSF se félicite que la plus haute juridiction administrative française mette enfin le régulateur face à ses responsabilités.

En novembre 2021, RSF saisissait l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) d’une demande de mise en demeure de la chaîne CNews pour manquements à ses obligations légales d’honnêteté, d’indépendance et de pluralisme de l’information. Ayant reçu une réponse négative de l’organe de régulation le 5 avril 2022, RSF déposait le 13 avril 2022 un recours auprès du Conseil d’État dénonçant l’inaction de l’Arcom. Par une décision rendue le 13 février, la plus haute juridiction administrative ordonne à l’Arcom de revoir sa copie. Le refus d’agir du régulateur résulte d’une méthode inefficace de contrôle et d’une limitation injustifiée par le régulateur de ses propres compétences en matière de pluralisme et d’indépendance de l’information. Une victoire essentielle pour RSF.

Le Conseil d’État identifie deux motifs d’annuler la décision de l’Arcom : s’agissant de l’indépendance de l’information, le juge reproche au régulateur de cantonner son intervention à des manquements caractérisés à l’antenne, au cours de séquences identifiées, sans apprécier la globalité du comportement de la chaîne ou de sa direction, y compris hors antenne. S’agissant du pluralisme de l’information, le Conseil d’État fait grief à l’Arcom d’avoir limité son contrôle à l’examen du respect des règles de temps de parole des personnalités politiques, sans vérifier si la chaîne respecte réellement la diversité des courants de pensée et d’opinion. En conséquence, le Conseil d’État annule la décision de l’Arcom et lui enjoint de réexaminer sa doctrine sur ces points.

C’est la deuxième fois en quatorze mois que RSF l’emporte devant le Conseil d’État contre l’Arcom : en décembre 2022, RSF avait convaincu le Conseil d’État que l’Arcom avait compétence pour ordonner à un opérateur satellitaire français de mettre fin à la diffusion de bouquets satellitaires russes de propagande vers la Russie, le Bélarus et les territoires occupés de l’Ukraine.

“Notre objectif, en luttant pour le pluralisme et l’indépendance de l’information, c’est de défendre tout simplement la démocratie. La fragmentation de la société par la polarisation des médias, leur capture par les propriétaires et le déclin du journalisme sont des dangers funestes pour notre pays et chacun d’entre nous. Ce n’est pas un hasard si les Français réclament avec force un renforcement du pluralisme et de l’indépendance de l’information. La décision historique du Conseil d’État va certainement changer la donne, en amenant le régulateur de l’audiovisuel à être enfin à la hauteur des enjeux. Cela fait près de dix ans que nous réclamons qu’il exerce ses compétences. Ce n’est pas telle ou telle ligne éditoriale qui est en jeu, mais notre capacité à accéder à une diversité de faits et d’opinions. Nous ne voulons pas de la dérive américaine, qui amène une démocratie au bord de la guerre civile à cause du démantèlement de la protection démocratique sur l’audiovisuel qui a entraîné la polarisation des médias. Il y a urgence en France à l’heure où le débat public court plus que jamais le risque d’être fragmenté, particulièrement avec le développement de conflits d’intérêt majeurs.

Christophe Deloire
Secrétaire général de RSF

CNews devient jour après jour un Fox News à la française, suivi quotidiennement par plus de 8 millions de téléspectateurs, et entraîne le paysage audiovisuel dans la société du commentaire. Le laissez-faire du régulateur et les dérives de la chaîne qui ont prévalu jusqu’à présent connaissent aujourd’hui un coup d’arrêt sans précédent.

Thibaut Bruttin
Adjoint au directeur général de RSF

“C’est une très grande victoire pour la liberté d’information et le pluralisme dans les médias. Pour la première fois, le Conseil d’État impose à l’Arcom, tout comme nous lui demandions, de contrôler le respect du pluralisme sur l’ensemble des programmes de CNews. Il va plus loin encore en exigeant que le régulateur s’assure que l’indépendance effective de la chaîne soit garantie au regard de l’influence que peuvent exercer ses actionnaires sur la ligne éditoriale. La passivité de l’Arcom est sanctionnée. L’autorité dispose maintenant d’un délai de six mois pour mener à bien ces vérifications.

Patrice Spinosi
Avocat au Conseil

"Je suis heureux que l’analyse sémiologique que j’ai menée pour RSF aboutisse à une décision de justice. La loi prévoit que l'Autorité de régulation ‘assure le respect de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion’. Les études sur les médias proposent de longue date d'autres façons de mesurer le pluralisme que celle, restrictive, limitée à la seule appartenance politique, et au fond peu en phase avec la compréhension du public, qu'a retenue, jusqu'à présent, l'Arcom.

François Jost
Professeur émérite à la Sorbonne-Nouvelle, sémiologue spécialiste des médias

Un bouleversement de la régulation audiovisuelle

La question du respect par les médias audiovisuels de leurs obligations fait l’objet de nombreux débats, des médias – incluant des médias de service publics – étant régulièrement accusés d’exposer eux aussi une vision biaisée et politiquement orientée de l’information. Le recours de RSF ne porte cependant pas sur la ligne éditoriale de CNews, qui relève de sa liberté éditoriale, et ne repose sur aucune considération d’ordre politique. L’enjeu des actions menées par RSF est la pertinence des obligations que le législateur impose à l’ensemble des médias audiovisuels, le caractère approprié ou non des moyens donnés au régulateur pour les faire respecter, et le caractère effectif ou non de ce contrôle. 

À cet égard, le cas de CNews est emblématique, en ce qu’il met en lumière l’inefficacité du contrôle de l’Arcom – ce qui pose la question du caractère approprié de l’ensemble du cadre de régulation des médias. Le régulateur a en effet à de nombreuses reprises ces dernières années rappelé la chaîne à l’ordre pour des manquements ponctuels aux obligations d’indépendance ou de pluralisme de l’information, sans pour autant parvenir à influer sur le comportement de la chaîne. 

L’Arcom s’est toujours limitée à se prononcer sur des séquences spécifiques, des manquements ponctuels, sans jamais s’interroger sur les causes structurelles qui pouvaient être la cause de ces manquements. La critique du caractère limité, et partant peu effectif, de ce contrôle, est au cœur des recours exercés par RSF. En creux, c’est bien les mêmes reproches que RSF que le Conseil d’État adresse à l’Arcom : celui d’une interprétation a minima de ses compétences, qui aboutit à une fuite du régulateur devant ses responsabilités. 

En ce qui concerne le pluralisme, RSF pointe les insuffisances du système actuel et montre, dans ses écritures, que d’autres formes de mesure du pluralisme existent, laissant au régulateur la tâche d’établir une nouvelle méthode. De toute évidence, le pluralisme tel que défini par l'Arcom se borne à un enjeu de la seule représentation politique et non à un besoin de compréhension du public.

Un accélérateur pour des initiatives diverses 

Tandis que se déroulent les États généraux de l’information (EGI) qui planchent notamment sur la régulation des médias audiovisuels, que de nombreuses réflexions ont été menées sur la question des dernières années (commission d’enquête du Sénat sur la concentration dans le secteur des médias, mission conjointe confiée à l’inspection générale des finances et l’inspection générale des affaires culturelles sur les concentrations et le pluralisme dans l’audiovisuel, commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur le contrôle des chaînes de la TNT…) la décision du Conseil d’État est susceptible d’emporter des conséquences importantes. 

Le juge administratif impose tout d’abord à l’Arcom de prendre une nouvelle décision sur le cas d’espèce de CNews, dans un délai de six mois, et par conséquent de revoir les principes et modalités de son contrôle sur le pluralisme et l’indépendance, applicables à l’ensemble des chaînes conventionnées de l’audiovisuel français.

Alors que 15 conventions de chaînes de la TNT dont 6 du groupe Canal+ doivent être renégociées en 2024, l’Arcom pourrait se montrer plus ferme dans la négociation et la rédaction de ces conventions, en particulier inscrire des obligations plus strictes, s’agissant du respect du pluralisme et de l’indépendance de l’information, des obligations auxquelles le régulateur doit donner un véritable contenu, dont le respect doit être vérifiable, quantifiable.



 


Un point presse aura lieu ce mardi 13 février à 16h au siège de RSF, en présence du secrétaire général de RSF Christophe Deloire et du sémiologue spécialiste des médias et professeur émérite à la Sorbonne Nouvelle François Jost.

Suivez en direct la conférence de presse RSF. 

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