Bilan de six mois de répression massive contre les médias

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Six mois après l’annonce des résultats contestés de l’élection présidentielle en Iran, les autorités iraniennes continuent d’exercer une censure de l’information et de réprimer les journalistes. Depuis le 12 juin 2009, plus de cent journalistes ont été arrêtés et près d’une cinquantaine ont été contraints à l’exil. Par ailleurs, douze journaux ont été suspendus et des milliers de pages Internet ont été bloquées.  Plus de cent arrestations, 3 milliards de tomans de caution versés et près de 65 ans de prison Quelques heures après l’annonce de la réélection de Mahmoud Ahmadinejad, plusieurs journalistes ont été arrêtés par les différents services de sécurité (ministère des Renseignements et les services des gardiens de la Révolution), avant d’être transférés, pour la plupart, à la prison d’Evin de Téhéran. Depuis le 12 juin, au moins cent journalistes et blogueurs ont été arrêtés, et vingt-sept journalistes et blogueurs sont encore en détention. Reporters sans frontières rappelle que l’Iran est l’une des cinq plus grandes prisons du monde pour les journalistes. Comme le stade de Santiago du Chili en 1973, Evin est devenue un centre de détention sanglant. Au cours de leur incarcération, la majorité des détenus ont subi de fortes pressions psychologiques et des mauvais traitements. Certains journalistes ont été libérés contre le versement d’une caution exorbitante, après avoir été condamnés à des peines allant de cinq à neuf ans de prison, d’autres ont recouvré la liberté, dans l’attente de leur jugement. Parallèlement, dans nombre des grandes agglomérations du pays (Machhad, Ispahan, Shiraz et Tabriz...), les professionnels des médias continuent à être harcelés : fréquemment convoqués, souvent interrogés, régulièrement menacés, la pression perdure. Censure tous azimuts des médias nationaux et internationaux Dès le lendemain de la "victoire" du Président sortant, une campagne de censure massive et systématique s’est abattue sur les médias nationaux et internationaux. Une répression sans précédent. Pour la première fois après la révolution de 1979, les autorités ont instauré une vérification systématique du contenu des publications avant leur parution, par les services de sécurité. Plusieurs journaux ont été censurés suite à la publication d’articles contredisant le discours officiel, et plus d’une dizaine d’autres - dont plus d’une dizaine de quotidiens nationaux - ont été suspendus. On peut citer notamment Kalameh Sabz (le 13 juin), Etemad-e Melli (le 17 août), ou le journal économique Sarmayeh (le 2 novembre). Cette politique se poursuit, avec la suspension, le 8 décembre 2009, du quotidien Hayat-e no, suite à la publication d’informations sur la répression des manifestations du 7 décembre, à l’occasion de la Journée nationale des étudiants.  Depuis le 12 juin, le régime a développé une campagne de diabolisation des médias étrangers, surtout occidentaux, les accusant d’être les “porte-parole des émeutiers“. Le 16 juin, le ministre de la Culture et l’Orientation islamique a interdit, par décret, aux médias étrangers de “participer ou de couvrir les rassemblements organisés sans autorisation du ministère de l’Intérieur“. Plusieurs journalistes étrangers ont été contraints de quitter de pays. Ceux qui ont pu rester subissent des pressions permanentes. A la veille des manifestations du 7 décembre, certains ont été informés que leur accréditation venait d’être suspendue pour soixante-douze heures. Internet au ralenti Les autorités s’en sont également prises à Internet, en étendant leurs tentatives d’emprise sur les nouveaux médias. Les sites d’informations susceptibles de contester la victoire de Mahmoud Ahmadinejad, et notamment une dizaine de sites Internet proches de l’opposition, avaient été censurés à l'approche du 11 juin, veille de l’élection. Une censure brutale a frappé Internet afin d'empêcher la circulation d’informations et la mobilisation des opposants du régime. Cette politique n’a pas cessé. A l'approche de manifestations annoncées, notamment aux alentours du 4 novembre et du 7 décembre, les connexions Internet ont été fortement ralenties, voire bloquées, notamment dans les villes de Téhéran, Ispahan et Shiraz. Ce ralentissement est entré en vigueur encore plus tôt lors des dernières manifestations du 7 décembre. Dès le 5 décembre, la vitesse de connexion était très lente,  rendant de facto la navigation et l’envoi d’e-mails difficiles, voire impossibles. Les pages d’accueil de Gmail et de Yahoo ! ne s’affichent plus. « Je voulais envoyer des e-mails mais, si sur gmail la page d’accueil s’affiche, le bouton “Envoyer“ n’apparaît pas », a déclaré un internaute iranien à Reporters sans frontières, au sujet de son expérience de navigation Internet le 7 décembre 2009. Par ailleurs, les autorités, avec l'aide des fournisseurs d'accès, ont mis en place une redirection des pages d’accueil de certains sites d’informations sur les pages  de sites inconnus qui assurent la propagande du gouvernement. C’est le cas du site Balatarin, l’un des bastions en ligne du mouvement de contestation. Les sites YouTube et Facebook sont difficiles d’accès, l'utilisation des proxies compliquée par la lenteur de la bande passante. Le réseau de téléphonie mobile est également brouillé. Les autorités cherchent, en particulier, à bloquer l'envoi et la diffusion sur Internet de vidéos prises par téléphone portable. Plusieurs individus surpris en train de filmer avec leurs téléphones les manifestations et la riposte des forces de police ont été arrêtés le 7 décembre. Plusieurs blogueurs ont également été arrêtés dès le 4 décembre. Reporters sans frontières rappelle que l'Iran, qui figure sur la liste des "Ennemis d'Internet" de Reporters sans frontières, a déployé, ces derniers mois surtout, un système de filtrage et de surveillance de la Toile très sophistiqué, dans la lignée des cybercenseurs chinois. Les principaux fournisseurs d’accès du pays dépendent du Réseau des télécommunications iraniennes (TCI), une entreprise rachetée par les gardiens de la Révolution, qui n'hésitent pas à bafouer les traités internationaux et les engagements de la République islamique en faveur de la libre circulation de l'information. L’impunité sans fin  Le 15 juin 2009, l’ancien journaliste Alireza Eftekhari, âgé de 29 ans, est décédé. Il aurait succombé des suites d’une attaque cérébrale après avoir été battu. Son corps n’a été rendu à sa famille que le 13 juillet. Les circonstances exactes de sa mort restent inconnues à ce jour.  Ainsi son nom a été ajouté à la longue liste des professionnels des médias assassinés. Une enquête sur la mort de cet ancien journaliste doit être ouverte, afin que la lumière soit faite sur les circonstances de son décès. De même, les responsables de la mort de quatre journalistes - Majid Charif, Mohamad Mokhtari, Mohamad Jafar Pouyandeh, Pirouz Davani - et de la photographe irano-canadienne, Zahra Kazemi, doivent être poursuivis et répondre de leurs actes. Une enquête doit également être ouverte sur la mort en détention du jeune blogueur Omidreza Mirsayafi. L’exode est le plus important depuis la révolution de 1979 La liste des professionnels des médias en exil, auxquels Reporters sans frontières apporte une assistance juridique et humanitaire, s’allonge chaque jour. Six mois après le début de la répression, plus de cinquante journalistes ont quitté l’Iran. Cet exode est le plus important depuis la révolution de 1979. Le régime, qui désigne les médias comme des ’moyens utilisés pour renverser l’Etat’, se débarrasse de ces témoins gênants en les emprisonnant ou en provoquant leur fuite. Photographes, cameramen, blogueurs, reporters de journaux maintenant suspendus, tous sont accusés d’agir ’contre la sécurité nationale’. Si les plus chanceux arrivent en Europe ou aux Etats-Unis, la plupart prennent la fuite avec l’aide de passeurs dans des conditions extrêmement dangereuses. Dans leur pays de refuge, la Turquie ou l’Irak, ou même l’Afghanistan, ils sont confrontés à de nouvelles brimades et à la surveillance policière. Les dispositifs prévus par la Convention de Genève de 1951 sont désormais inadaptés pour répondre à la situation d’urgence. Les Etats européens en particulier doivent ouvrir leurs portes pour accueillir ces journalistes et soutenir la liberté d’expression en Iran. Face à l’ampleur de cet exode, Reporters sans frontières lance un appel à soutenir financièrement ces journalistes et blogueurs, qui sont dans le dénuement le plus complet et en quête d’un lieu sûr. Vos dons permettront de prendre en charge les frais de transport, notamment les billets d’avion, les frais de nourriture, de logement et de santé.
Publié le
Updated on 20.01.2016