Bélarus : 6 mois après l’arrestation de Raman Pratasevich, “l’extrémisme” est devenu l’arme maîtresse du régime contre les médias

L’ex-rédacteur en chef d’une chaîne Telegram labellisée “extrémiste”, arrêté après le détournement d’un vol de Ryanair, attend toujours son procès, dans un lieu tenu secret. Reporters sans frontières (RSF) demande sa libération immédiate et dénonce les poursuites judiciaires de plus en plus fréquentes pour “extrémisme” contre les médias et les journalistes.

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Six mois après son arrestation spectaculaire, le journaliste d’opposition et ancien rédacteur en chef de la chaîne Telegram Nexta labellisée “extrémiste”, Raman Pratasevich, se trouve assigné à résidence dans un lieu inconnu. Sa mère, autorisée à lui faire passer du courrier et de la nourriture, a signé une clause de confidentialité et le dernier commentaire officiel sur son cas remonte au 12 septembre. Le chef du comité d’enquête de Minsk avait alors annoncé, sur la chaîne publique STV, la fin de l’instruction dans l’affaire pénale le concernant pour le mois d’octobre. Selon lui, l’enquête qui vise Raman Pratasevich, mais aussi le fondateur de Nexta Stepan Poutilo, le fondateur du site 1863x.com Edouard Paltchys et des “mouvements anarchistes” comptait déjà “plus de 600 volumes”. Depuis, plus aucune nouvelle officielle. 

 

Arrêté le 23 mai 2021 après l’atterrissage forcé d’un avion de ligne, détourné de son trajet entre Athènes et Vilnius par Alexandre Loukachenko, Raman Pratasevich était apparu le lendemain, le visage tuméfié, reconnaissant sa culpabilité dans l’organisation “d’émeutes de masse” dans une vidéo diffusée à la télévision biélorusse. Il n’a pu rencontrer son avocate que quatre jours plus tard. Le journaliste a ensuite fait plusieurs apparitions publiques pour effectuer des aveux forcés, notamment lors d’une interview sur la chaîne ONT lors de laquelle il a expliqué avoir “un respect inconditionnel” pour Loukachenko, qui a “des couilles d’acier” (sic). L’ancien rédacteur en chef de Nexta est resté en prison un peu plus d’un mois avant son transfert en résidence surveillée. 

 

“La pression physique et psychologique à laquelle est soumise Raman Pratasevich​​​​​​​ depuis six mois relève de traitements inhumains, voire de la torture, affirme la responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF, Jeanne Cavelier. RSF demande sa libération immédiate, ainsi que celle des 30 autres journalistes et collaborateurs de médias arbitrairement emprisonnés.”

 

RSF a saisi le Groupe de travail de l’ONU sur les détentions arbitraires afin que celui-ci reconnaisse formellement que la détention de Pratasevich est arbitraire au regard du droit international. Un peu plus tôt, en mai 2021, l’organisation avait également déposé plainte en Lituanie pour “détournement d’avion avec intention terroriste” contre Alexandre Loukachenko. La plainte fait actuellement l’objet d’une enquête du Parquet général de Vilnius. 

 

“Au-delà de ce cas emblématique de la dérive répressive d’un régime qui vise à terroriser les journalistes, RSF dénonce l’utilisation de plus en plus fréquente des poursuites pour “extrémisme”, un concept devenu tellement large qu’un simple lecteur peut être condamné” souligne encore Jeanne Cavelier.

 

La chaîne Telegram de Raman Pratasevich, Nexta, qui était suivie par près de 2 millions d’abonnés, a été déclarée “extrémiste” le 20 octobre 2020, un statut de plus en plus utilisé par les autorités dans leur arsenal répressif contre la presse indépendante. Le site d’information le plus populaire, TUT-BY (devenu Zerkalo), et le média sportif Tribuna.com ont été ajoutés sur cette liste en août 2021. Depuis, le mouvement s’est accéléré, avec l’inclusion, ces trois derniers mois, de l’agence de presse Belapan, des médias en exil Belsat et Euroradio, d’acteurs régionaux comme Hrodna.life, Barysuskiya Naviny ou Ex-Press.by, des chaînes Telegram du magazine lifestyle Kyky et de Belorousskiy Partizan, média cofondé par le journaliste biélorusse assassiné en Ukraine Pavel Cheremet

 

Les collaborateurs des publications en ligne labellisées “extrémistes” risquent des poursuites pénales tout comme les abonnés à ces médias ou à leurs réseaux sociaux, ainsi que les lecteurs qui re-postent leurs articles. Ces derniers peuvent être poursuivis pour “diffusion de contenus extrémistes”, voire être considérés comme “membres d’un groupe extrémiste” et encourir jusqu’à sept ans d’emprisonnement, selon une décision gouvernementale du 12 octobre dernier. 

 

Arbitrairement appliquée contre ceux considérés comme des “ennemis” du régime, la loi a également un effet rétroactif. L’historien et rédacteur en chef du journal Tsarkva Ihar Baranouski est actuellement poursuivi pour avoir diffusé douze liens vers des articles de Belsat, dont certains avaient été publiés avant qu’elle ne soit déclarée “extrémiste”. Le journaliste de Krytchau Siarhei Niarouny a été condamné, le 1er novembre, à une amende pour avoir aimé des articles de TUT.BY sur Facebook il y a plus d’un an. Iryna Slaunikava, de Belsat, a purgé une peine de 15 jours de prison début novembre, à son retour de vacances en Égypte, pour des accusations similaires. La directrice de BelaPAN Iryna Leuchyna et l’ancien directeur de campagne Dzmitry Navajylau, arrêtés le 18 août, risquent désormais sept ans d’emprisonnement pour avoir “créé un groupe extrémiste”. La liste des journalistes et médias visés ne cesse de s’allonger.

 

Le Bélarus occupe la 158e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2021 établi par RSF.

Publié le
Mise à jour le 24.11.2021