Une cinquantaine de journalistes en procès cette semaine en Turquie
Pas moins de quarante-huit journalistes sont appelés à comparaître dans le cadre de trois procès distincts cette semaine en Turquie. La plupart d’entre eux sont en prison. Reporters sans frontières (RSF) dénonce des accusations sans fondement et appelle à la libération immédiate des journalistes emprisonnés.
Plus une semaine ne passe en Turquie sans son lot d’arrestations et de procès de journalistes. Ce mardi 24 octobre s’ouvre le procès de six journalistes mis en cause pour avoir relayé des révélations sur le ministre de l’Energie et gendre du président Erdoğan, Berat Albayrak. A la suite du piratage et de la publication de ses emails par un groupe de hackers d’extrême-gauche en 2016, des journalistes en avaient extrait certains éléments relevant d’après eux de l’intérêt général : commerce pétrolier avec le Kurdistan irakien, répression du mouvement “Occupy Gezi”, mise au pas de la presse turque...
Les journalistes boucs émissaires
Le journaliste d’investigation Tunca Öğreten, le reporter de l’agence DİHA Ömer Çelik et l’employé du quotidien de gauche BirGün, Mahir Kanaat, ont déjà passé près de dix mois en détention provisoire. Ils comparaissent avec leurs collègues Derya Okatan, Metin Yoksu et Eray Sargın, arrêtés en même temps qu’eux mais remis en liberté après 24 jours de garde à vue.
Ces journalistes sont accusés d’avoir manipulé le contenu des emails de Berat Albayrak et divulgué des secrets d’Etat pour “créer une perception négative des autorités” au profit de diverses organisations terroristes. Malgré l’apparente contradiction idéologique, Tunca Öğreten est censé être simultanément lié au groupe armé d’extrême gauche DHKP-C et à la confrérie islamique de Fethullah Gülen, désignée par les autorités turques comme responsable du coup d’Etat avorté du 15 juillet dernier. Plusieurs de ses collègues font l’objet d’accusations tout aussi hétéroclites.
“Le sort de ces journalistes est une nouvelle illustration du cocktail d’accusations absurdes et contradictoires auxquelles font face de nombreux journalistes en Turquie, dénonce Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF. La détention provisoire est utilisée de façon punitive et arbitraire. Nous demandons une fois de plus la libération immédiate de tous les journalistes incarcérés du fait de leurs activités professionnelles.”
Procès en cascade
Ce 24 octobre reprend également le procès de 29 journalistes accusés d’appartenance au mouvement Gülen, dont 23 sont en détention provisoire depuis plus d’un an. La remise en liberté conditionnelle de la plupart d’entre eux, ordonnée au terme de la première audience, avait été bloquée in extremis. Treize de ces journalistes, dont Murat Aksoy et Atilla Taş, sont en outre poursuivis pour “tentative de renverser le gouvernement et l’ordre constitutionnel”.
Treize journalistes, dont Faruk Eren, Ertuğrul Mavioğlu et Celal Başlangıç, sont appelés à comparaître ce 26 octobre pour avoir participé à une campagne de solidarité avec le quotidien kurde Özgür Gündem. Au nom du pluralisme, 56 personnalités s’étaient relayées, entre mai et août 2016, pour prendre symboliquement la direction de ce journal persécuté par la justice. Le journaliste et défenseur des droits humains Murat Çelikkan a été libéré, le 21 octobre, après avoir purgé quelques mois de prison ferme dans cette affaire. Le représentant de RSF en Turquie, Erol Önderoğlu, est lui aussi poursuivi pour avoir pris part à cette campagne de solidarité. Son procès reprendra le 26 décembre à Istanbul.
Le procès de onze défenseurs des droits humains, dont le président et la directrice d’Amnesty International en Turquie, s’ouvrira par ailleurs le 25 octobre à Istanbul. Aux côtés de journalistes indépendants, ils font l’objet d’un lynchage médiatique dans la presse pro-gouvernementale turque, qui leur reproche entre autres de suivre le procès du quotidien Cumhuriyet. Accusés d’appartenance à plusieurs organisations terroristes, ils risquent jusqu’à 15 ans de prison.
La Turquie occupe la 155e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi en 2017 par RSF. Déjà très préoccupante, la situation des médias est devenue critique sous l’état d’urgence proclamé à la suite de la tentative de putsch du 15 juillet 2016 : près de 150 médias ont été fermés et plus de 100 journalistes sont emprisonnés.