Tunisie : La liberté de l’information et d'expression menacée

A l'occasion de l'Examen périodique universel sur la situation des droits de l'homme en Tunisie ce 2 mai aux Nations Unies et de la Journée mondiale de liberté de la presse ce 3 mai, les organisations nationales et internationales signataires mettent en garde contre les atteintes de la liberté de l’information et d’expression en Tunisie. Le gouvernement tunisien n’a de cesse ces dernières semaines de resserrer l’étau sur la presse en retardant la mise en œuvre de la loi sur l'accès à l'information tout en avançant un projet de loi pour la mise en place de l’Instance de régulation de la communication audiovisuelle (ICA), réducteur quant aux prérogatives de l’instance et à son indépendance.

Les organisations signataires signalent par ailleurs que la Tunisie continue de poursuivre les journalistes sur la base du code de justice militaire, du code pénal ou d'autres lois autre que le Décret-loi n115- 2011 sur la liberté de la presse, d'impression et d'édition, cadre juridique unique sur les affaires de presse.



Début 2017, le gouvernement a également tenté de contourner le droit de la presse à accéder à l’information en publiant « la circulaire n°4 » avant d'annoncer le 27 Février 2017 avoir « suspendu » cette circulaire suite aux fortes pressions de journalistes, médias et organisations de la société civile nationale et internationale. En violation des dispositions de la Constitution, de la loi et des engagements internationaux de la Tunisie, cette circulaire interdisait aux responsables de l’information et de la communication dans les ministères et les institutions publiques « de faire une déclaration ou une intervention » ou « publier ou communiquer des renseignements ou des documents officiels par la presse ou d'autres médias » sans « l'autorisation préalable et explicite » des autorités. L’application de ce texte a mené le ministère tunisien de l'Enseignement supérieur à publier une note interne black-listant trois médias, nouvelle indication de l'absence d'une véritable volonté politique de consacrer pleinement le droit d'accès à l'information.



Le 06 Avril 2017, le Ministère de l'intérieur saisissait un journal hebdomadaire en invoquant la loi relative à l’Etat d'urgence, sans autorisation judiciaire préalable. C’est la première fois depuis la chute de la dictature le 14 janvier 2011 qu’un journal est interdit de la sorte.



Retard dans la mise en application de la loi sur l’accès à l’information
La loi sur l'accès à l'information publiée au journal officiel (loi n ° 22 de 2016 en date du 24 Mars, 2016), n’est pas encore entrée en vigueur et l’instance d’accès à l’information n’a toujours pas vue le jour. Le texte prévoit également un délai de six mois aux organismes assujettis à la loi afin qu’ils publient « obligatoirement » sur leur site internet officiel plusieurs informations les concernant, des instituions publiques telles que la Présidence de la république et le Ministère chargé des «chargé des Relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et les organisations des droits de l’homme » ne se sont pas acquittés de cette obligation légale.
Les organisations signataires sont surprises de constater l’arrêt du processus d’élection des membres de l’Instance d’accès à l’information par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) suite au dépouillement des candidatures en février.
Les organisations craignent une volonté des partis politiques de soumettre l'organisme indépendant aux quotas de partis dans le choix des membres de l’instance.
Les organisations invitent l’ARP à assumer pleinement ses responsabilités en accélérant le vote sur les membres de l’instance. Elles appellent également le gouvernement à publier les décrets d’application prévus dans la loi, et en particulier ceux concernant le statut particulier des agents de l'instance et son organigramme.



Retrait des prérogatives de l’Instance de régulation de la communication audiovisuelle (ICA)

Les organisations signataires sont profondément préoccupées par la préparation d'un projet de loi gouvernemental sur la mise en place de l’ICA. Le texte soumis ces dernières semaines à une consultation hâtive par des acteurs de la société civile travaillant peu ou pas sur dans le secteur des médias, réduit sérieusement les attributions et l’indépendance de la future instance constitutionnelle.
Les organisations expriment également leurs inquiétudes sur le souhait du gouvernement de voir cette loi séparée du code de l’audiovisuel. Le projet de loi actuel retire à l’instance le droit d'imposer des sanctions financières aux médias audiovisuels qui violeraient la loi.
L’instance est également dépourvue de l’« avis conforme » quant aux nominations et révocations par le gouvernement dans les médias publics. Cette disposition ouvre ainsi la porte au retour de nominations déterminées selon les allégeances politiques et partisanes. Cette inquiétude est d’autant plus forte que le gouvernement en violation du décret loi n°116-2011 relatif à la liberté de communication audiovisuelle a nommé début avril deux directeurs de radios publiques, sans consulter la HAICA.



Pour rappel, l’ouverture de la consultation autour du projet de loi sur la mise en place de la ICA coïncide avec une nouvelle campagne de diffamation contre la HAICA dans laquelle se sont engagés plusieurs médias et partis politiques, suscitant des craintes sur l’éventuelle mise en place d’une nouvelle autorité de régulation de l’audiovisuel. Cette dernière si elle venait à être mise en place avant les élections municipales de décembre risquerait de ne pouvoir remplir pleinement sa mission en raison de ses faibles prérogatives.



Il convient de noter que la Tunisie a perdu une place au Classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières (RSF) en se classant 97ème sur 180 pays ; nouveau signal de l’échec des autorités tunisiennes à respecter et garantir la liberté de l’information et d’expression et ce en contradiction avec l’image international que veut renvoyer le pays concernant ses avancées en matière de droits humains.



Les organisations signataires :



- Reporters sans frontières

- ARTICLE 19

- Syndicat National des Journalistes Tunisiens

- Ligue Tunisienne pour la Défense des Droits de l'Homme

- Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux (FTDES)

- Comité Pour le Respect des Libertés et des Droits de l'Homme en Tunisie

- Centre de Tunis pour la Liberté de la Presse (CTLP)

- Association Vigilance pour la Démocratie et de l'Etat Civil

- Observatoire Tunisien pour l'Indépendance de la Magistrature

- Organisation Tunisienne Contre la Torture (OCTT)

- Association des Femmes Tunisiennes pour la Recherche sur le Développement. (AFTURD)

- L'Association Tunisienne pour la Défense des Valeurs Universitaires

- MOURAKIBOUN

- Association Tunisienne Pour la Gouvernance et la responsabilisation sociale

- Tunisie Demain Pour le Développement

- Le Labo démocratique

- Association Beity pour les femmes sans domicile

- Lam Echaml

- Réseau national anti-corruption

- Réseau OpenGovTn

- DAAM

- Association Tunisienne De Lutte Contre La Corruption (ATLUC)

- Association Tunisienne des Contrôleurs Publics

- Réseau euro-méditerranéen des droits de l'Homme (REMDH)

- Amnesty International Tunisie

Publié le
Mise à jour le 02.05.2017