Trente-trois citoyens journalistes et professionnels de l’information tués depuis mars 2011

Lire en arabe / بالعربية À l’occasion de la réunion des Amis de la Syrie, qui s’est déroulé le 6 juillet 2012 à Paris et à laquelle Reporters sans frontières a participé en qualité d’observateur, l’organisation dresse le sombre bilan de la situation en Syrie, où plus de 30 citoyens journalistes et professionnels de l’information ont trouvé la mort depuis le début du soulèvement, en mars 2011. Ces dernières semaines ont été particulièrement sanglantes : une dizaine de citoyens-journalistes auraient été tués en Syrie depuis la fin du mois de mai. Par ailleurs, l’organisation a appris avec une profonde inquiètude l’arrestation du journaliste freelance Mohamed Sami Al-Kayyal, à Tartous (au sud de la côte syrienne), le 27 juin 2012. “L’organisation condamne avec fermeté la repression sans pitié et l’accélération du cycle de violence dans un pays désormais en proie à une guerre civile. Dans un tel contexte, l’information libre et indépendante est une nécessité absolue mais, malheureusement, elle se fait de plus en plus rare. Ce mois de juin a vu la mort d’un nombre sans précédent de citoyens-journalistes, qui ont sacrifié leur vie pour transmettre les images du soulèvement, de la répression et, désormais, des opérations militaires menées par les groupes armés en lutte contre le régime impitoyable de Bachar Al-Assad,” a déclaré Reporters sans frontières. “En outre, l’organisation souhaite insister sur la difficulté de confirmer toute information en provenance de la Syrie. Le régime a réussi à imposer un réel black-out médiatique en dressant de nombreux obstacles face à la venue de journalistes étrangers - qui encourent par ailleurs de nombreux risques physiques dans le pays - et en emprisonnant les professionnels de l’information locaux qui refusent de participer à la propagande gouvernementale. Quant aux activistes qui s’attachent à documenter les exactions du régime, ils sont traqués sans relache par les services de sécurité, qui n’hésitent pas à les assassiner ou à les torturer, parfois jusqu’à la mort”.

Sur le sentier de la guerre

Le 26 juin 2012, Waël Omar Bard a été tué à Jarjanaz (40 km au sud d’Idlib). Âgé de 31 ans, il s’est rapidement impliqué, depuis l’Arabie Saoudite, dans la diffusion sur les réseaux sociaux d’informations à propos du soulèvement. Par la suite, il est revenu dans sa Syrie natale et, muni d’une simple caméra, il filmait les manifestations et les exactions commises par le régime. D’après le Centre de Doha pour la liberté des médias, il était en train de filmer un accrochage entre l’armée régulière et l’Armée syrienne libre (ASL) lorsqu’une balle l’a atteint au cœur. Des activistes ont expliqué que la veille de sa mort, il se trouvait dans son village natal, Teftanazz (10 km au nord-est d’Idlib), où il avait enterré son frère, medecin urgentiste, assassiné par les services de renseignements. Le 21 juin, le citoyen journaliste Hamza Mahmoud Othman a été fauché par un sniper à Homs, alors qu’il filmait le bombardement des quartiers de Jobar et d’Al-Sultaniyeh par l’armée syrienne. Il diffusait régulièrement sur Internet ses vidéos des événements dans sa ville, en proie à de violents combats depuis plusieurs mois. Il s’agit du frère de Ali Othman, surnommé “Al-Jedd”, un citoyen journaliste qui dirigeait le centre de presse de Baba Amr avant sa destruction en février dernier. Ce dernier a par la suite été capturé par les services de renseignements, le 28 mars 2012. Blessé le 13 juin 2012 dans une explosion, alors qu’il couvrait le bombardement de la ville de Rastan (20 km au nord d’Homs) par deux avions militaires, le citoyen-journaliste Bassim Barakat Darwish est décédé le 15 juin. Son corps a été inhumé le jour même. Il était l’un des fondateurs du centre de presse de Rastan et a couvert de nombreuses manifestations dans la région ainsi que les opérations menées par l’armée syrienne. Le 13 juin 2012, Ayham Youssef Al-Hariri, qui avait commencé à militer contre le régime dès mars 2011, a été mortellement blessé lors de l’explosion d’un obus à Deraa. Interrogé par le Centre de Doha pour la liberté des médias, un activiste local a affirmé qu’il était en train de filmer le bombardement du quartier d’Al-Sadd par l’armée syrienne lorsqu’il fut atteint. Marié et père de cinq enfants, il était âgé de 35 ans et avait déjà été emprisonné et torturé à deux reprises par les services de renseignement. Son activisme ne se limitait pas à la collecte et la diffusion d’informations, mais s’étendait à l’organisation de manifestations, à l’acheminement d’aides aux familles des victimes et à l’exfiltration des opposants via la Jordanie toute proche. Le 31 mai 2012, l’armée n’a pas non plus épargné la vie d’Abdelhamid Idriss Matar, 22 ans, mortellement blessé par un tir de char alors qu’il filmait l’assaut sur la ville d’Al-Qussair (25 km au sud de Homs). Il était étudiant dans l’ingénièrerie agro-alimentaire à l’université du Baath à Homs. Il couvrait et diffusait régulièrement sur youtube les manifestations ainsi que les opérations des forces armées fidèles au régime de Bachar Al-Assad. Reporters sans frontières rappelle que les citoyens journalistes Ahmed Hamada et Khaled Al-Bakir ont, eux aussi, été tués le mois dernier, respectivement le 16 juin à Homs et le 10 juin à Al-Qussair. Par ailleurs, le Comité de coordination de la ville de Tel Rifaat (20 km au nord d’Alep) a annoncé la mort de Mohamed Hamdo Hallaq, qui aurait été tué, le 2 juillet 2012, par l’explosion d’un obus alors qu’il filmait le pillonage de la ville de Azaz (30 km au nord d’Alep). Pour sa part, le Centre de Doha pour la liberté des médias a affirmé qu’un citoyen journaliste nommé Samer Khalil Al-Sataleh aurait trouvé la mort lors d’un bombardement sur la ville de Douma (banlieue au nord-est de Damas), le 28 juin 2012. De son côté, la Ligue des journalistes syriens a annoncé la mort de Ghias Khaled Al-Hmouria, qui aurait été tué le 25 juin 2012, toujours à Douma, alors qu’il filmait une opération mené par l’ASL. Toutefois, face à la difficulté d’obtenir des informations en provenance de la Syrie, Reporters sans frontières n’a pas encore réussi a confirmer de manière indépendante les nouvelles de la mort de ces personnes, ni leur qualité de citoyens journalistes. Au total et en date du 6 juillet, Reporters sans frontières confirme la mort, en lien avec leur activité journalistique, de 33 citoyens syriens et journalistes professionnels depuis le début du soulèvement, en mars 2011.

Mort en détention

L’organisation déplore la mort en détention de deux citoyens journalistes, Hassan Mohamed Al-Azhari et Rami Ismaël Iqbal. Arrêté le 13 avril 2012 à Lattakié, ville côtière au nord du pays, Hassan Mohamed Al-Azhari a été transféré ensuite dans une des prisons des services de renseignements à Damas. Le 11 juin 2012, sa famille a été avertie de sa mort, survenue le 17 mai 2012 - semblerait-il sous la torture. Âgé de 24 ans, il était l’un des fondateurs du Comité de coordination de la ville de Lattakié, où il filmait les manifestations et la répression. Incarcéré depuis le 21 décembre 2011, Rami Ismaël Iqbal est lui aussi mort en détention à l’âge de 28 ans. Toutefois le lieu de son décès reste incertain et la date inconnue. Citoyen journaliste depuis le début du soulèvement, il filmait les événements et relayait les informations auprès des médias étrangers. Il a été arrêté une première fois le 20 mars 2011 après avoir donné une interview à la BBC. À sa libération, il est entré en clandestinité. Les forces de l’ordre ont investi son domicile familial à plusieurs reprises, arrêtant même son père et ses frères. Le 21 décembre, lors d’une opération de l’armée de grande envergure à Dael (sa ville natale, près de Deraa), il a été blessé par balle et capturé avec un grand nombre d’activistes. Son sort était resté inconnu jusqu’à récemment, lorsqu’un de ses compagnons de cellule a été libéré et a révélé que Rami avait succombé à ses blessures en prison.

Énième arrestation

Le 27 juin 2012, à Tartous (60 km à l’ouest de Homs), Mohamed Sami Al-Kayyal a été arrêté arbitrairement par les forces de sécurité syriennes, dans sa chambre d’hôtel. Il était arrivé la veille dans la ville côtière pour rencontrer une connaissance qui aurait été la cible d’une tentative d’assassinat par des milices proches du régime. Originaire de Hama et âgé de 26 ans, ce diplômé d’histoire à l’université de Damas a publié de nombreux articles dans divers quotidiens et périodiques de la région. Il avait déjà été emprisonné en juillet 2011 à Damas. Ayant reçu certaines informations selon lesquelles il aurait été transféré dans l’une des prisons damascènes des services de renseignements, Reporters sans frontières est extrêmement inquiète quand au sort reservé à ce journaliste. Tout porte à croire qu’il sera torturé en détention. L’organisation appelle à sa libération immédiate et sans conditions.
Publié le
Updated on 20.01.2016