Tchad : un directeur de publication condamné à trois ans de prison
Reporters sans frontières (RSF) dénonce une condamnation inique et politique après que le directeur de publication d’un trimensuel, initialement poursuivi pour diffamation, a été condamné à de la prison ferme et une amende exorbitante.
Des deux directeurs de publication arrêtés depuis le 16 août, Martin Inoua du trimensuel Salam Info, et Abderamane Boukar Koyon du journal satirique Le Moustik, seul le premier a été condamné à de la prison ferme par le tribunal de grande instance de N’Djamena au Tchad. Ce lundi 23 septembre, le journaliste a écopé d’une peine de trois ans, d’une amende de 3140 euros et de 31 400 euros de dommages et intérêts à payer solidairement avec son coaccusé.
Initialement poursuivis pour diffamation, délit qui ne prévoit pas de peines privatives de liberté dans la loi sur la presse de 2018 -sauf en cas d’incitation à la haine ou à la violence- les deux journalistes ont finalement été condamnés pour “association de malfaiteurs informatiques” et “dénonciations calomnieuses”. A l’origine de leurs déboires judiciaires, une plainte de l’ancienne ministre de la Santé, Toupta Boguéna, qui les accusait de l’avoir diffamée dans des articles relayant des accusations d’agression sexuelle portées par sa nièce. L’avocat du journaliste a annoncé son intention de faire appel de cette décision.
“Après un placement en détention provisoire pour des faits de diffamation qui ne peuvent pas être punis de peines de prison et une requalification des charges en plein procès dans le seul but d’alourdir les sanctions, l’extrême sévérité de cette peine porte la signature d’une condamnation inique et politique, dénonce Arnaud Froger, responsable du bureau Afrique de RSF. Il est difficile de ne pas y voir un règlement de comptes orchestré contre un journaliste critique du pouvoir. Nous appelons les autorités tchadiennes à le libérer sans délai.”
RSF a par ailleurs appris que Martin Inoua avait été violemment agressé hier soir à la maison d’arrêt d’Amsinéné de N’Djamena sans qu’il soit pour l’heure possible d’établir précisément les circonstances de cette agression. Selon plusieurs témoignages, le journaliste est apparu avec l’oeil très enflé ce matin au Tribunal.
Martin Inoua est connu pour ses articles dénonçant la corruption et sa publication est régulièrement dans le collimateur des autorités. En juillet, son journal avait été suspendu pour trois mois par l'organe de régulation des médias pour “manquements à l’éthique et à la déontologie”.
Les entraves à la liberté de la presse sont encore nombreuses au Tchad. Le pays détient le record d’Afrique subsaharienne de la restriction d’accès aux réseaux sociaux, bloqués par les autorités en mars 2018 et rétablis seulement il y a deux mois par le président Idriss Déby Itno.
Le Tchad occupe la 122e place sur 180 dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2019.