Tanzanie : un journaliste suspendu pour sa couverture du Coronavirus

Reporters sans frontières (RSF) dénonce une série de sanctions disproportionnées visant des médias et des journalistes tanzaniens pour des sujets liés à la crise du coronavirus. RSF appelle les autorités à ne pas alourdir encore le climat de peur et de pressions dans ce pays où la liberté de la presse ne cesse de se dégrader depuis 2016.

Les lecteurs du Tanzania Daima ne sont pas prêts de revoir la signature de Talib Ussi Hamad dans leur quotidien. Accusé d'avoir publié un reportage sur le coronavirus sans l’accord d’un patient contaminé, le reporter a été suspendu pour six mois à partir du 20 avril. 


Cette décision intervient quelques jours seulement après celle ordonnée contre le groupe de presse Mwananchi, dont la licence de site d’information a été suspendue pour six mois. Raison, elle aussi liée au Covid-19 : la diffusion d’une photo présentant le président John Magufuli entouré de plusieurs personnes. Elle a provoqué de vives réactions alors que des mesures de distanciation sociale sont en vigueur dans le pays. Les autorités ont indiqué que le cliché avait été pris avant la crise sanitaire. Le média l’a rapidement retiré et a depuis présenté des excuses publiques. En plus de la suspension, il a écopé d’une amende de cinq millions de shillings tanzaniens (environ 2 000 euros). 


Trois autres organes - Star Media, Multichoice Tanzania, et Azam Digital Broadcast - ont chacun été condamnés à une amende équivalente et contraints de présenter des excuses publiques avant chaque journaux pendant une semaine, pour le simple fait d’avoir relayé un reportage d’une télé kényane Citizen TV, qui qualifiait le président tanzanien de “borné” en référence à son refus d’instaurer un confinement généralisé dans le pays. 


“Au lieu de privilégier d’autres moyens comme des rappels à l’ordre ou des droits de réponse alors même que les fautes ont été reconnues et vite réparées, ces sanctions extrêmement lourdes risquent de contribuer un peu plus au climat de peur qui s’est installé dans les rédactions tanzaniennes depuis l’arrivée au pouvoir du président John Magufuli, déplore Arnaud Froger, responsable du bureau Afrique de RSF. Si la crise sanitaire s’amplifie, les journalistes tanzaniens risquent de refuser d’enquêter ou tout simplement de couvrir ce sujet, ce qui privera la population d’informations indépendantes essentielles pour lutter efficacement contre la pandémie.”


Dans le même sens, MISA-Tanzanie, une organisation locale de défense de la liberté de la presse, a par ailleurs affirmé qu’un simple avertissement des autorités aurait été “plus approprié et plus constructif” que les mesures de suspension décidées pour régler ces affaires.


Depuis l’arrivée au pouvoir du président John Magufuli en 2015, la liberté de la presse n’a cessé de se détériorer en Tanzanie et le pays a perdu 53 places depuis 2016 au Classement mondial établi par RSF, dont six places dans l’édition 2020 qui vient d’être publiée. Aucun pays n’a connu une telle détérioration de sa situation ces dernières années. Un arsenal répressif de lois visant à restreindre la liberté d’expression et d’information a été déployé, des journaux continuent d’être suspendus et les journalistes sont régulièrement intimidés ou arrêtés. Le journaliste Eric Kabendera est la dernière victime de ce harcèlement systématique contre les professionnels de l’information. L’an dernier, il a passé sept mois en détention.


Le pays occupe désormais la 124e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2020.

Publié le
Mise à jour le 25.04.2020